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Musique à Notre Dame des Landes : l’ut des classes

mercredi 6 février 2013

Voici un article paru dans le dernier numéro du journal des Allumés du Jazz.. (http://www.allumesdujazz.com/)

« Nous voulons de la musique rebelle, de la musique de rue, de la musique qui brise cette peur de l’autre. De la musique de crise. De la musique immédiate. De la musique qui sache quel est le véritable ennemi. »

David Widgery

La musique de Notre-Dame-des-Landes est un défi splendide aux turpitudes des partis politiques, à la logique nuisible des firmes qui vendent le béton et la mort, et à l’abrutissement des flics surarmés qui assurent la survie de leur monde, celui-là même qu’ils ont réduit à l’état de marchandise en saccageant la nature et en enfermant la beauté dans les musées ; par sa spontanéité, sa grâce et un effet de miroir singulier, elle souligne le saisissant contraste entre eux et nous, elle fait sens tout en procurant du plaisir. Dès lors, sur les barricades il arrive parfois que nous lancions des pierres, des bouteilles vides, des morceaux de bois, tout ce qui peut nous servir à nous défendre contre la police et la gendarmerie dont les attaques dans les prés, les bois ou sur les routes ont pour objectif de réduire notre révolution à l’unique expression d’un mécontentement de paysans arriérés, associés à des écolos démagos qui cautionnent la violence (forcément) inacceptable d’une poignée d’anarcho-autonomistes. Or, si c’est bien sûr d’un changement politique radical qu’il s’agit dans cet admirable bocage, une véritable révolution copernicienne (ou aristotélicienne, je ne me souviens plus très bien) des âmes est également en cours, si l’on veut bien considérer ce concept non pas comme le résidus vaporeux d’une personnalité qui s’envolerait vers le ciel mais plutôt comme l’essence de notre singularité la plus intime, profonde et touffue comme un sous-bois magique, et constituée par notre sensibilité, nos souvenirs, nos intuitions et bien d’autres choses encore, mais je n’ai pas la place de tout écrire car on m’a demandé de faire court ; la tentation de parler de révolution Bakounino-Jungienne est grande…(hélas on m’a également demandé de ne pas développer d’idées trop fumeuses) Toujours est-il que le renversement de perspective qu’induit le processus nous faisant déserter le champ du monde spectaculaire pour pénétrer dans celui de nos émotions a comme conséquence une (re)connection merveilleuse avec nous-mêmes : la fluidité sensorielle inédite qui en résulte permet de nouer de nouveaux liens avec l’univers qui nous entoure, nous faisant vibrer avec lui, ici et maintenant. Ce cheminement personnel n’est certes guère aisé dans le contexte de notre aliénation quotidienne, et lui conférer une dimension collective serait une gageure invraisemblable si nous ne pouvions compter sur un atout majeur : la musique. Celle qui se joue à Notre-Dame-des-Landes plaît modérément aux puissances mortifères qui sont à la manœuvre, et les effraie d’ailleurs à juste titre car à travers le message qu’elle véhicule parfois, la danse qu’elle déclenche souvent et la joie qu’elle prodigue toujours, elle motive, réchauffe et égaye les zadistes en donnant aux opposants le sentiment d’appartenir à une communauté solidaire, fraternelle et libre, capable de se transformer elle-même ainsi que le monde. Elle leur révèle ce fait, en vérité. Car nous sommes tous des zadistes, partout, toujours, le temps d’une journée (samedi 24 novembre 2012), d’une chanson (Notre-Dame des oiseaux de fer du Hamon-Martin quintet) ou celui d’une « valse triste » à l’accordéon (Timothée Le Net). Pour l’éternité.

Stéphane Cattaneo

Et un récit d’un concert à la Roche Bernard par le même amateur de jazz :

Une fois n’est pas coutume, il ne m’a pas été nécessaire de parcourir des dizaines, centaines voire milliers de kilomètres pour assister à un concert de jazz exceptionnel : ça s’est passé samedi soir 02 février à La Roche Bernard (780 habitants), village du Morbihan que j’habite et où Hélène (notre mère adoptive à tous) tient mon bistrot préféré : « Le Rochois ». Les circonstances historiques, les réseaux d’amitié, l’énergie des bonnes personnes au bon moment et au bon endroit ont permis que se tienne une soirée dont on parlera encore d’une voix vibrante dans cinquante ans. Des Anglais (je vous demande d’applaudir Tony Hymas, au piano) on en voit pas mal dans le coin, mais (à part à la télé) les derniers Américains (merci d’accueillir Chris Bates à la contrebasse et son frère JT aux fûts) à être passés dans le secteur l’on fait en 1945, les armes à la main ; c’est dire si l’excitation qui faisait vibrer la place du Bouffay vers 21 heures, au terme d’une semaine à les attendre avec chaque jour plus d’impatience, grandissait, grandissait. Aussi, histoire sans doute de nous décharger de notre énervement, le trio a choisi de démarrer aussi sec par un medley cubique tonitruant, véritablement cathartique, qui a permis aux musiciens de transformer le trop-plein d’énergie de tous en un échange immédiat et provocateur entre eux et chacun de nous, et tisser par la suite une manière d’échange profond, positif, invisible…Les premières minutes du concert menées pied au plancher nous démontrèrent que ces gars sont des alchimistes, et la salle du Rochois un creuset formidable pour leurs mélanges explosifs. Dès lors, entre vibrations d’une extrême délicatesse et orages en suspension, ils ont entraîné le public dans l’univers du blues, du jazz, de l’improvisation… Ils l’ont fait basculer dans le tourbillon d’un monde nouveau et sensible, sur l’océan des merveilles duquel on voyait les nouveaux arrivants chavirer de bonheur sur une version d’« Avec le Temps » de Léo Ferré par exemple, ou les longs développements du blues « Les évadés de la nuit » de Hymas. Pas facile pour tout le monde de nager dans un univers sensoriel où l’on a plus pied, mais j’ai vu bien des gens qui ne l’avaient jamais fait auparavant s’y aventurer avec délectation, enthousiasmés au-delà de la raison par le fait de découvrir qu’ils avaient l’occasion de s’abandonner à une forme subtile d’exaltation, qu’ils pouvait applaudir, crier, bouillonner sur une musique à chaque instant renouvelée, protégés qu’ils étaient par notre bulle sensorielle collective, chaleureuse, sans danger. Des grands moments, je crois me souvenir qu’il n’y eut que cela ; l’un fut plus étourdissant que les autres, peut-être, lorsqu’au deuxième set le trio interpréta le titre du quintet d’Hamon-Martin « Notre-Dame-des-Oiseaux-de-Fer » : que des jazzmen de cette envergure, qui avaient joué la veille en Avignon et joueraient trois jours plus tard au festival « Sons d’hiver » à Paris se sentent, veuillent se sentir proches de nous au point de reprendre la chanson qui nous fédère dans notre lutte contre l’aéroport de Nantes parut à tous renversant. L’auditoire riait, trépignait, dansait même, ce qui paraît relever de l’exploit tant la foule était dense ; en tout cas c’est ce qu’on m’a dit, moi je n’ai rien vu de ce passage : j’y participais. Improvisant une grande peinture tandis que les compères jouaient, j’avais choisi deux couleurs qui paraissent plus que jamais de circonstance : du noir et du rouge. Ce sont les deux couleurs de l’anarchie. La générosité, le partage, la créativité… C’est l’anarchie. Et ça se passe à La Roche Bernard, le village le plus cool du monde.