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La répression s’abat dans l’État espagnol sur le mouvement anarchiste et anti-autoritaire

lundi 25 mai 2015

Perquisitions, arrestations et incarcérations, automne-hiver 2014-2015

A l’image de la répression italienne [1], l’État espagnol attaque le mouvement anarchiste espagnol, les Centres Sociaux Occupés et Autogérés, et plus largement les mouvements sociaux, par des opérations massives simultanées dans plusieurs villes. Trois événements marquent ces derniers mois : les opérations « Pandora » et « Piñata » à Barcelone et Madrid principalement, le 16 décembre 2014 et le 30 avril 2015 respectivement ; puis la peine de 3 ans ferme récemment tombée contre des participant.e.s au rassemblement devant le parlement catalan en juin 2011.

Les deux opérations policières et judiciaires visaient à arrêter les soi-disant membres des Groupes Anarchistes Coordonnés (GAC [2] ), et pour cela ont perquisitionné une trentaine d’appartements et de squats ; ils en ont profité pour en expulser un à Madrid ; puis ont arrêté une cinquantaine de personnes, parmi lesquelles 11 ont été emprisonnées en préventive. Les 7 de l’opération Pandore ont été relâché.e.s au bout d’un mois et demi (après avoir payé une caution de 3.000 euros chacun.e) puis placé.e.s sous contrôle judiciaire (avec obligation de pointer 3 fois par semaine). Les 5 de la plus récente opération Piñata sont toujours en détention préventive (l’un d’entre eux, Kike, accusé d’être le leader des GAC, fait partie des personnes enfermées en décembre ; après deux mois de liberté, il se retrouve à nouveau derrière les barreaux), et 10 autres ont été libéré.e.s sous contrôle judiciaire. Ils et elles sont toutes accusé.e.s d’avoir commis des sabotages sur des distributeurs de billets et d’être lié.e.s aux attaques sur deux cathédrales ; les perquisitions ont permis de confisquer tout un tas de preuves irréprochables comme une bouteille de camping-gaz, des livres et brochures, et du matériel informatique permettant des connections internet sécurisées.

En avril nous apprenons que les 8 camarades qui avaient été relaxé.e.s l’été dernier dans l’affaire du parlement en 2011 (lors des mobilisations contre les politiques d’austérité, juste avant les grèves générales), ont été condamné.e.s en appel à 3 ans de prison ferme (le proc’, pas content de leur relaxe, avait fait appel du jugement). Un recours a été déposé pour éviter leur incarcération.

Toutes ces détentions s’ajoutent à bien d’autres liées à des actions de résistance d’expulsion locatives ou des manifestations contre les politiques d’austérité ou encore des rassemblements de soutien lors d’expulsion de squats, qui n’ont cessé de s’intensifier ces dernières années. Un acharnement policier et judiciaire contre celles qui osent lever leur voix contre des politiques du gouvernement de plus en plus précarisantes, dans un pays où la misère sociale s’empare d’une vaste couche de la société.

Ces opérations comme avant-goût des nouvelles lois sécuritaires

À l’image des Etats-Unis et de la France, l’état espagnol vient d’approuver toute une série de lois sécuritaires qui rappellent des tristes épisodes de la dictature : la « loi de sécurité citoyenne » (connue sous le nom de « ley mordaza », en français : « loi bâillon »), la « réforme du Code Pénal », et le « pacte anti-djihadiste ». Ces lois, qui devraient entrer en vigueur en été 2015, constituent un durcissement des politiques sécuritaires déjà bien mises en pratique par le gouvernement. Elles tentent de dissuader toute manifestation ou contestation sociale, et aggravent le sort des précaires, des migrant.e.s et des prisonnièr.e.s. Puis, comme par hasard, une nouvelle réforme de la loi de l’avortement a également été votée à la même période, sûrement histoire de diviser les mobilisations et l’attention médiatique. Voici, ci-dessous, quelques illustrations de ces nouvelles lois sécuritaires.

À titre d’exemple, la réforme du code pénal suppose :

  • que des infractions deviennent des délits ;
  • la formalisation des peines de prison à perpétuité ;
  • des sortes de récidives potentielles (c’est à dire des condamnations à des mises à l’épreuve plus lourdes que les peines principales, sur la base de la dangerosité de l’inculpé.e ; donc non pas sur la base des faits pour lesquels la personne est condamnée, mais du risque de récidive) ;
  • la pénalisation des infractions contre les droits d’auteur (sont visé.e.s par exemple les migrant.e.s qui survivent en vendant dans la rue des CDs copiés ; de même, les responsables de sites web sur lesquels c’est possible de télécharger de la culture encourront des peines allant jusqu’à 6 ans de prison) ;
  • la criminalisation de la solidarité envers les personnes sans-papiers ;
  • la persécution de la liberté d’expression et des mobilisations sociales : notamment la résistance passive face aux flics -comme s’asseoir face à eux et refuser de partir- peut être considérée comme rébellion ; dans les cas de troubles à l’ordre public, le fait que cet acte de résistance ait lieu lors d’une manifestation sera considéré comme circonstance aggravante ;
  • la réduction des peines encourues pour une partie des délits de corruption, et la justice à deux vitesses pour les riches et les pauvres (par exemple, les fraudes au chômage seront sanctionnés à partir du 1er euro, alors que les fraudes aux impôts ne seront sanctionnées qu’à partir d’une somme de 120.000 euros) ;
  • le prolongement de la durée pendant laquelle les condamnations sont inscrites sur le casier judiciaire (contrairement à la justice française, les inscriptions au casier ont un délai déterminé selon les peines) ;
  • l’interdiction de fréquenter certaines personnes ou groupes comme condition à des aménagements de peine ;
  • un durcissement de la loi sur la liberté conditionnelle.

Quelques exemples des actes punissables par ces nouvelles lois qui feront encourir des amendes d’entre 600 à 600.000 euros (ici présentés par ordre croissant) :

  • filmer la police
  • déplacer des grilles ou des ru-balises posés par les flics
  • rassemblements devant les parlements et autres institutions publiques
  • empêcher une expulsion locative
  • refuser un contrôle d’identité
  • rassemblements devant des aéroports, des centrales nucléaires, etc.
  • organisation de concerts ou soirées non déclarées

En ce qui concerne les droits des migrant.e.s, ces lois prévoient l’expulsion immédiate des personnes tentant de grimper les murs qui séparent le Maroc de l’Espagne (à Ceuta et à Melilla) ; puis les conditions pour identifier des personnes suspectées d’être en situation irrégulière deviennent encore plus floues et donc plus arbitraires.

Quand la lutte contre les « ennemis intérieurs » dépassent les frontières

Les deux opérations visant le mouvement anarchiste espagnol et catalan sont en partie la suite des négociations entre les gouvernements espagnol et chilien pour lutter contre le « terrorisme anarchiste ». En effet, le gouvernement chilien ayant échoué sur son territoire à condamner les inculpé.e.s pour le « caso bombas », a fait en sorte que ses collègues espagnols incarcèrent en prison préventive deux de ces personnes relaxées, en les accusant sans aucune preuve de deux attentats à l’explosif ayant causé quelques dégâts matériels dans des cathédrales sur le territoire espagnol. Ces deux personnes, Mónica et Francisco, sont toujours en prison plus d’un an après, en attente d’être jugé.e.s.

Extrait de « La boîte de Pandore et le fourre-tout de l’antiterrorisme espagnol » :

« Le fiasco chilien […] [Au Chili] une opération policière, médiatique et judiciaire a été orchestrée [en 2010] contre le mouvement anti-autoritaire, se soldant par plus d’une dizaine de perquisitions et d’arrestations, connue sous le nom d’Opération Salamandra, et populairement comme le « Caso bombas », puisque basée sur l’enquête sur une série d’attaques explosives ayant eu lieu au cours des années précédentes. La broderie policière a également créé une macro-structure hiérarchique d’un supposé réseau chargé de toutes ces explosions : un cirque qui non seulement a affaibli l’image de l’État, en plus de le ridiculiser, mais qui a aussi mis en évidence la grossièreté des procédures d’enquête, incluant la falsification de preuves, le chantage ou la pression pour obtenir des informateurs.ices ou des “repenti.e.s”, l’improvisation, etc. Le procès s’est terminé avec la relaxe de tou-tes les mis-es en examen et une soif de vengeance de la part de l’État chilien contre le mouvement et les personnes sous enquête. Une année après la fin de la farce du “Caso bombas”, et au travers d’une opération cette fois de ce côté de l’océan, les ministères, les tribunaux et les polices espagnols et chiliens ont travaillé ensemble sur une nouvelle affaire. Mónica Caballero et Francisco Solar, tou-tes deux mis-es en examen dans le procès “Caso bombas” sont arrêté-es à Barcelone, où ils vivaient à ce moment là, avec trois autres personnes ensuite mises hors de cause. Elle et lui sont accusé-es d’avoir placé un engin explosif dans la Basilique del Pilar de Saragosse, de conspiration pour un fait similaire et d’appartenance à une supposée organisation terroriste. Ces compagnon-nes se trouvent actuellement en prison préventive dans l’attente d’un procès dont nous ne savons pas quand il aura lieu, tout comme nous ignorons quel effet aura sur lui cette nouvelle vague répressive. La situation est plus ou moins connue par toutes et tous et si nous sommes sûr-es d’une chose, c’est que les récentes arrestations servent à donner une consistance à une affaire qui ne tient pas toute seule.

Coïncidence ? Quelques heures avant les arrestations de mardi, le gouvernement espagnol annonçait dans ses médias que les « ministères de l’Intérieur d’Espagne et du Chili ouvrent une nouvelle phase de collaboration renforcée dans la lutte contre le terrorisme anarchiste ». Lundi 15 décembre, le ministre de l’Intérieur espagnol, Jorge Fernández Díaz, s’est réuni au Chili avec le vice-président et également ministre de l’Intérieur chilien Rodrigo Peñailillo, dans le Palais de La Moneda, siège du gouvernement à Santiago du Chili. « Dans la lutte contre le terrorisme, le Chili trouvera un allié solide dans l’Espagne », se vantait l’espagnol, tandis qu’il se voyait décoré de la Grand Croix de l’Ordre du Mérite du Chili, « la plus grande distinction du pays au mérite civil » selon la presse, trophée qu’en l’occurrence l’État chilien remet pour le travail policier, récompensant l’arrestation des compagnon-nes Mónica y Francisco l’année dernière. Éloges et récompenses mis à part, le représentant de commerce Fernández a été vendre un peu du sien : dressage policier et judiciaire, matériel répressif varié, etc. »

Rien de très différent du contexte en fRance

Le climat répressif, qui s’abat sur les populations appauvries et les individus ou groupes susceptibles de se rebeller, ne cesse de se durcir ici et là depuis les attentats à New York de 2001 et le « Pacte Patriotique » introduit par le gouvernement des États-Unis et qui a tant inspiré leurs collègues européens. En fRance, la répression des mouvements sociaux et de tout acte de révolte prend des ampleurs similaires, comme vient l’appuyer la nouvelle « loi sur le renseignement » (approuvée le 4 mai dernier par le parlement) qui légalise les pratiques de surveillance que la police utilisait jusqu’à maintenant de façon arbitraire.

Par ailleurs, l’utilisation par la police des armes, cyniquement appelées « non-létales » comme les grenades assourdissantes, les flashball ou les LBD, s’intensifie et se normalise ces dernières années. Le meurtre de Rémi Fraisse l’automne dernier vient confirmer tragiquement ce que tout le monde craignait : les armes de la police non seulement blessent et mutilent mais peuvent aussi tuer. En Catalogne l’usage du flashball avait été interdit suite à une forte mobilisation, mais va sûrement être remplacé par... le LBD.

En ce qui concerne le nouveau mouvement « des zad » ou « contre les GPII », la répression policière, judiciaire et médiatique a clairement franchi un cap après la manifestation à Nantes du 22 février 2014, puis -bien pire encore- avec le meurtre de Rémi au Testet le 27 octobre 2014. Une véritable « chasse aux zadistes » s’est mis en place aux différents coins du pays, les procès en comparution immédiate s’enchaînent après les manifestations pour dénoncer les violences policières, et les incarcérations de manifestant.e.s, jusqu’à maintenant sporadiques, deviennent presque automatiques après chaque manif (en particulier à Toulouse et à Nantes).

Pour l’instant, nous n’avons pas vécu en fRance de grosse opération policière comme les opérations Pandora et Piñata, visant plusieurs villes simultanément, mis à part (à une plus petite échelle) les deux vagues d’arrestations à leur domicile de personnes inculpées pour le 22 février. Mais l’échec de l’État lors de la tentative d’expulsion des occupant.e.s de la zad de Nddl à l’automne 2012, puis la multiplication, depuis, des formes d’opposition directe à des projets d’aménagement du territoire (et de nos vies) laisse entrevoir une vengeance du gouvernement pour montrer qui a le monopole de la « violence légitime » et le pouvoir d’imposer ses propres intérêts. Néanmoins, nous ne nous laissons pas intimider car, comme au Chili et dans l’État espagnol, la détermination et la solidarité peuvent mettre en péril les attaques de l’État.

Solidarité !

Nous, le comité anti-répression issu de la lutte anti-aéroport (CARILA), voulons exprimer notre solidarité avec toutes les personnes qui ont vécu les perquisitions de leur lieu de vie ou d’organisation lors des dernières opérations policières dans l’État espagnol, et plus particulièrement avec la cinquantaine de personnes arrêtées, dont les 11 qui ont été enfermées en préventive (parmi lesquelles 5 le sont encore aujourd’hui). Nous tenons à soutenir également les 5 camarades qui ont été condamné.e.s à 3 ans de prison suite au rassemblement devant le parlement catalan de 2011, et qui risquent de se retrouver bientôt derrière les barreaux.

Pour suivre les infos en français : fr.squat.net

Mai 2015

Documents joints

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Notes

[1En Italie, les opérations visant à perquisitionner et arrêter massivement des personnes en lutte dans les quatre coins du pays simultanément sont une tactique bien connue. Le mouvement No-TAV en a subit déjà plusieurs (ex. : en janvier 2012 une quarantaine de personnes avaient été arrêtées).

[2GAC (Groupes Anarchistes Coordonnés) est le sigle sous lequel a été signé notamment le livre paru en 2013 « Contre la démocratie ». La police a utilisé ce nom pour inventer une coordination hiérarchique et internationale à visée terroriste. En gros, ils considèrent qu’il s’agit de la section espagnole de la FAI/FRI (Fédération Anarchiste Informelle / Front Révolutionnaire International) qui, loin d’être une organisation politique, est un réseau informel dont n’importe quel individu ou groupe peut se revendiquer. Néanmoins, la police espagnole a réussi à trouver des responsables des GAC : un chef, un responsable de propagande, un responsable de la trésorerie, etc. Comme exprimait un texte paru lors de la première opération pandore : « lorsque le monstre se regarde dans le miroir, il projette son image sur les autres ».