Zone A Défendre
Tritons crété-e-s contre béton armé

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Label ZAD et autres sornettes

lundi 16 novembre 2015

L’histoire de la lutte à Notre Dame des Landes s’écrit, aujourd’hui encore, dans la discrétion des efforts de constructions et de réflexions(1) ponctuée par quelques menaces d’expulsion de la zone à défendre (ZAD)(2) : des interventions répétés de Valls depuis décembre(3) ; le rejet des premiers recours environnementaux le 17 juillet 2015(4) ; la première apparition depuis 2012 d’un juge des expulsions sur la zad, le 22 septembre 2015(5) . Ce jour là, dès l’aube, plusieurs centaines de personnes et une trentaine de tracteurs les attendaient, lui et ses gendarmes, derrière les barricades !(6)

Mais plus récemment, c’est aussi l’appel d’offre de la préfecture de Loire Atlantique le 30 octobre dernier qui relance la machine. D’un côté les pro-aéroports, déjà prêts, proposent pêle-mêle l’expulsion des « délinquants » de la zad(7) et un « jeu-concours du Grand Ouest »

Mais dans tout l’hexagone, les comités de soutien à la zad refont surface, les appels à mobilisation tournent massivement8. Le conflit ne s’est pas éteint et la réactivité des différentes composantes continue de faire raisonner l’écho d’une résistance concrète et exigeante à portée de main. L’expérience galvanisante de la zad porte d’intarissables espoirs. Ces terres, avec l’histoire, l’affect et l’émotion auxquelles elles renvoient, sont chargées de la force du symbole de lutte et ce bien au-delà de la « zone » en question. Leur force est à ce titre d’autant plus redoutables ! Les 40000 personnes présentes en novembre 2012 seront-elles pas plus nombreuses, plus diffuses et mieux préparées ?

Avec du temps et non sans difficultés, cette lutte a permis de populariser notamment une pratique : l’occupation rurale. Elle a montré aussi la nécessité de faire coexister différentes sensibilités : citoyennes, anarchistes, écolos etc. ; celle d’utiliser différents moyens légaux et/ou illégaux ; de multiplier les tactiques, de la chaîne humaine à l’affrontement ; d’être simultanément sur plusieurs fronts, des attaques en justice ou des sabotages, des pétitions sinon des barricades, et de développer des pratiques comme l’auto-medic, l’auto-media, les équipes légales, l’infotraflic(9) etc.

Il faut aussi, pour comprendre comment un tel engouement fut possible, se retourner sur les décennies de contestations qui le précèdent, et les diverses forces paysannes plus qu’actives tout au long de son histoire(10) !

De plus, elle a mis la lumière sur la nécessité de construire une contestation sur les bases de ce à quoi elle aspire et, comme socle de solidarité, la reconnaissance d’un adversaire commun. Ici : tout ce qui peut conduire à la construction de cet aéroport : géomètres, Gendarmes mobiles, des élus, Vinci, AGO (Aéroport Grand Ouest) etc. Enfin, l’échec de l’opération César(11) a permis d’ouvrir une brèche dans l’horizon fermé de la démocratie et du capitalisme. Des victoires sont donc possibles !

Ces dernières années, les occupations de territoires s’opposant à des projets capitalistes ont poussé comme des champignons qui font halluciner leurs commanditaires, les irritant comme fleurs-au-nombril, mettant en colère les gros papounets destitués de leur autorité un lendemain de cuite. Et la (re-)descente n’est pas toujours une partie de plaisir(12).

Mais par les temps qui courent, mieux vaut ne pas trop traîner dans un coin de nature habillé en costard, en compagnie d’un élu et d’un géomètre... Depuis plusieurs mois, on ne compte plus, du sud-ouest de la France à Bruxelles(13), les initiatives qui se reconnaissent dans l’appellation ZAD et s’en réclament. Ce qui laisse peu de personnes indifférentes, et pas toujours pour le meilleur. Qu’il s’agisse de ces « journalistes » qui spéculent sur de nouvelles zones à défendre(14) agitant des épouvantails comme autant de conjurations, décomplexant au passage quelques aspirations fascistes comme à Sivens ou, dans une moindre mesure, à Roybon ; de ces chefs, politiciens, hommes d’affaires et autres mafieux, qui voient une part de pouvoir leur échapper ; de ces sympathisantes anonymes et discrètes qui attendent ou espèrent que les choses se passent bien, ou encore de ces jeunes et volontaires utopistes qui répandent des « zad partout », les fantasmes pleuvent, les clichés fleurissent.

Qu’il soit un cauchemars ou un espoir, l’imaginaire désigné n’est pas sans portée et on aurait peine à en évaluer le plus pernicieux et le plus efficace : de celleux qui s’empressent de crier aux zadistes et les stigmatisent activement ? Ou de celleux qui, touchant du bout des doigts le moyen de donner un sens à leur engagement voire à leur vie - ce qui n’est pas peu de chose - s’empressent de déclarer une nouvelle « zone à défendre » et se jettent dans une bataille, déterminées certes, mais avec peu d’outils théoriques, pratiques et matériels, et restent en surface. De plus, la résonance de l’ennemie zadiste ainsi désignée, prive de bien des possibilités avec de potentielles amies ou alliées car elle offre une lecture simpliste et une compréhension caricaturale bien appuyée ces derniers temps par une certaine presse15. Elle légitime toute action d’intimidation et d’isolement, tout type de pressions, légale ou non - mais là n’est pas la question. On ne peut qu’espérer le soutien d’alliées potentielles lorsque nous provoquent quelques têtes brûlées. Sans compter qu’on n’a même plus besoin de se déclarer zadiste, la presse s’en charge.

Au fond, suffit-il de désigner une zad pour qu’elle existe ? Le label vend du rêve, promet de belles choses, et personne n’est légitime à autoriser ou interdire son usage ni même à en définir le modèle type ou la forme applicable. Une zad est-elle un état de fait ? un laboratoire politique ? ou une zone de spéculation de protection de la nature ? Qu’implique, concrètement, le fait de nommer une ZAD ?

Voici, peut-être, quelques raisons de ne pas rester zadisto-centrées :

Sornette n°1, la ZAD mère ou la naissance d’une identité zadiste

Il n’y a pas de « zad mère ». La seule « maternité » zadiste, nous la devons à des urbanistes capitalistes et à leurs alliés productivistes fous. Le terme de Zone À Défendre est d’abord la réappropriation sémantique de l’acronyme de « zone d’aménagement différé », et non la reconnaissance identitaire d’une pratique. Passée cette considération, le concept réapproprié de part et d’autres16, chaque « zone à défendre » a ses particularités, son histoire, son contexte politique, social et ses réalités géographiques et démographiques. On ne saurait plaquer une attitude, un style, un comportement à un mot issu d’une lutte qui s’appuie sur l’occupation de territoire comme outil. Une pratique qui, en plus d’être vieille comme la propriété, a des millions de visages à travers le monde et mille façons de se réaliser ; son origine est multiple. Les zads héritent de pratiques répondant à des nécessités, elles vont de transmissions en transformations, elles ne changent pas d’abord nos représentations du monde, elle sont la marque de leur évolution. L’activation d’un imaginaire collectif qui se réinvente de lieu en lieu. Pourquoi alors s’accrocher à des identités figées, sinon fictives ?

Sornette n°2, la zad a fait des petites

Dans l’engouement et l’excitation des moments de gloire à nddl, le mot d’ordre « zad partout », à la fois menace et cri de ralliement, n’était pas encore une invitation à multiplier les zads(17), mais à répandre la solidarité pour Nddl. Lors des expulsions de Novembre 2012, il s’agissait d’activer les forces vives, de faire résonner partout les conséquences d’une attaque à Nddl. Plus tard, ce slogan a spontanément été repris comme un trophée : les zad du Morvan, de Sivens et bien d’autres ont suivi. Néanmoins, s’en tenir à la détermination du slogan revient à destituer au sens les particularités des processus locaux. Il devient alors le titre creux d’un scénario dont on voudrait l’issue certaine, un bis repetita applicable partout et en toutes circonstances. Comme si une zad était une fin en soi, avant même le début du commencement d’une occupation(18).

Il serait fondé de questionner la pertinence de déclarer une zad à la moindre maison occupée, comme celle d’Oléron, notamment quand celleux-ci refusent d’être assimilées à « de mauvais squatteurs »(19).

Par ailleurs, le symbole de la cabane suffit à répandre l’écho d’une résistance active. Cette construction collective en bois, multiforme et unique, est devenue le matériau d’opposition au béton et la moindre palette érigée fait s’agiter les autorités, comme au plateau de Saclay en Juillet dernier20).

Sornnette n°3, le label zad

Déclarer une zad équivaut parfois à donner le tampon de l’expulsion avant même de s’être présentées chez les voisines, et les ennemis des-dites zadistes sont parfois plus promptes à se manifester que leurs alliées. Les expulsions de plusieurs d’entre elles en sont un exemple : Chambéry, une semaine ; Oléron, un mois ; Echillais ayant tenue plus longtemps mais expulsée le même jour que la maison d’Oléron, et les moyens employés totalement disproportionnés sont destinés, dans un contexte fascisant, à mettre en spectacle l’ordre républicain, libéral et sécuritaire(21). Si les murs qui se dressent devant nous nous indiquent aussi les chemins de l’émancipation(22) , être là où on nous attend, c’est nous rendre identifiables sans être connues, stigmatisées sans nous être encore dotées de moyens humains, de logistique et de solidarité, pour nous défendre. Le label zad, dans un pays traditionnellement réactionnaire et de moins en moins honteux de l’être, est populaire jusqu’à un certain point ; c’est-à-dire qu’une zad n’est pas a priori une cause acquise au cœur de toutes. Pour le dire autrement, à une époque où les zadistes étaient victimisées par la presse de droite qui accusaient Hollande, que des élus opposés se positionnaient en faveur d’une action illégale (la manifestation de réoccupation du 17 novembre 2012), que les zadistes étaient aux côtés des agriculteurices de toute la région, toutes suivies par un mouvement prenant tout l’hexagone, à ce moment là, on pouvait surfer, même naïvement, sur cette vague émotive, politique et populaire. Mais l’opinion, cet être informe et malléable auquel on peut attribuer toutes les intentions, semble toujours légitimer la dernière chose qu’on lui dit. Les zadistes sont devenues, par voie médiatique, des alcooliques, droguées, sales, agressives et contre les agriculteurices.

Ainsi désormais, déclarer une zad reviendrait à surfer sur la vague après son passage mais surtout, factuellement, à montrer le chemin de l’expulsion sans avoir les moyens d’y faire face.

Pour le dire autrement, les principes trahissent des impatiences, plaquent des tactiques, manquent de stratégie, quand de simples et franches connexions peuvent soutenir les mêmes intentions avec beaucoup plus de force. Mais après tout, les expériences d’occupations n’ont pas fini de déployer leurs forces créatives !

Sornette n°4, la belle zad

L’illusion d’une ZAD angélique, où seraient abolis les conflits, les inégalités de toutes sortes, où l’autogestion et l’auto-organisation suivraient leur cours simplement, ajoute un phare à la l’avènement d’autre chose.

S’il est clair pour beaucoup que l’occupation et le sabotage sont, de prime abord, des réactions des plus indispensables à une agression à venir ou en cours, elles ne sauraient se passer de perspectives à long terme, d’un ancrage dans le temps. L’autonomie politique collective est un premier pas, mais elle ne peut être la seule ambition, sans quoi elle se perdrai dans une posture « démocratique ». C’est à dire qu’elle ne représenterai pas une menace au cours injuste du monde. Elle doit confronter sa réalité vis à vis de l’autonomie alimentaire(23), énergétique, médicale etc.. Ce sont autant de moyens et d’occasions de nous ressaisir de nos vies, de construire des liens avec ce qui nous appelle et celleux qui nous ressemblent ; de refuser en acte une vision du monde suffisante et prédatrice ; des rapports entre les formes de vies faite par et pour les humains ; un aménagement des espaces de vies et de pensées fait autour des hommes, et principalement des hommes blancs ; une organisation du vivant destructrice et gaspilleuse entre auto-centrés. Et pour mener de tels combats, pour y venir à bout, la joie et la détermination, si indispensables soient-elles, ne suffisent pas.

Il est à craindre que la volonté naïve et le sentiment de légitimité, quoique salvatrices, épuisent les énergies dans la répétition d’un modèle type imaginaire ou dans l’ignorance des moyens indispensables à leurs réalisations, à commencer par la forme que l’on donne au temps et à l’espace investis : défendre un lieu, c’est le défendre physiquement, quel qu’en soit le moyen ou la méthode. C’est faire face à ses peurs, faire face à ce qui, sournoisement et quotidiennement, nous empoisonne la vie. C’est regarder la mort en face. À terme, des projections approximatives font perdre le sens commun aux énergies engagées.

Mais en fin de compte, on peut bien tomber amoureuse d’un fantasme, et ne connaître que les contours d’une idée pour se cogner enfin sa réalité.

Tout cela nécessite du temps et de la confiance, sinon la conscience commune d’une reconnaissance en l’autre qui, en d’autres temps, s’appelait conscience de classe, permettant d’établir a priori ces liens de solidarité.

Aujourd’hui, trop souvent, nous attendons que l’adversité se mette en rang devant nous pour remarquer de quel côté nous sommes. Et encore...

Malgré tous les efforts faits pour concrétiser ces objectifs, la réalité est loin d’être aussi simple et évidente. Car si le temps a passé à nddl, l’absence de flics fait place à d’autres conflits, notamment sur la question de l’usage et de la répartition des terres (ou structures d’usage communes). Foncier et projets collectifs sont désormais tournés sur d’autres problématiques24 ; la solidarité victorieuse face à l’État se meut parfois en solidarité de circonstance quand elle ne disparaît pas. Mais rien n’est fini !

Sornette n°5, la terre est une zad !

Si les cibles logiques et affectives trouvent leurs sources et leurs origines dans la défense d’espaces particuliers, leurs combats ne s’opposent pas strictement a un aéroport, un barrage, une usine à touristes, une poubelle nucléaire. C’est contre le monde globalisé dont elles sont une forme d’expression et de représentation. On dépasse ainsi la défense d’un territoire aux contours limités. Toutes les occupations sont des opportunités d’expériences collectives de réappropriation des outils politiques, de redéfinition des paradigmes et de choix de société qui se construisent. Rien n’est acquis ni n’émerge a priori, entièrement dépouillé des schémas de dominations combattus, en rupture avec le reste du monde, pure. Dès lors, le réalisme des zads ne réside t-il pas dans leur propre dépassement ? N’est-ce pas un moyen pour réaliser mille desseins ? C’est l’arbre qui indique la foret où les réaliser, rendant plus profondes encore les raisons de son refus.

« Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend(25). »

En fait de bon sens, n’est-il pas réducteur de vouloir défendre la terre ? Comme si nous n’en étions pas une part constitutive, liée à ses mouvements, à la vie qui s’y déploie. Nous ne sommes pas davantage ses protecteurices qu’elle n’est la nôtre. « La terre est une ZAD » révèle un point d’héroïsme anthropocentrique explicite et pour le moins déplacé. Est-ce par empathie, par culpabilité – renvoyant ainsi la défense du vivant à une question morale, ou dans l’espoir d’y vivre nous même encore ? La civilisation productiviste détruit une part importante des formes de vie, y compris elle-même. Soyons conséquentes : si les conditions de vie sur terre répondent à des lois physiques et matérielles, la terre n’est pas à défendre, c’est notre relation au vivant qui l’est. Dès lors, combattre la prédation de l’homme, c’est rendre l’horizon infini et rattacher notre existence au cosmos. Comme le disait V.Hugo : « Qui cueille une fleur dérange une étoile. » Les masques d’oiseaux, de tritons et de salamandre portés à plusieurs reprises, notamment lors de la manifestation du 22 fevrier 2014 à Nantes, expriment sans doute mieux une telle solidarité.

Le tracé arbitraire localisant une zad ne saurait contenir ce qui la lie à son au-delà, depuis les nuages et les vents qui la traversent jusqu’aux ruisseaux qui s’y dessinent et s’enfuient librement(26). Elle est aussi faite de celleux qui l’habitent, ou ne s’y arrêtent qu’un temps : végétaux, animaux, humaines. Celleux qui, tissant des liens par delà son horizon, font raisonner l’idée que quelque chose est en cours : un combat qui a du sens, la possibilité de construire un monde vivable et désirable, le sabotage d’un autre, imbuvable, irrespirable.

Sornette n°6, c’est projet contre projet

Les oppositions qui se font jour quant aux différentes manières de construire le temps et l’espace ne sont pas binaires et, chacune de leur côté, d’un seul et même bloc. Ce sont autant de personnes que de raisons ou de sensibilités, d’objectifs personnels ou collectifs, de volontés, de croyances, d’espoirs et d’illusions. Si l’enjeu est de taille, c’est aussi par la complexité des rapports au politique, au sensible et à leurs compositions.

En arrivant sur une terre en lutte, les opposantes d’un projet de bétonnage ne correspondent pas nécessairement aux idéaux politiques forgés ailleurs. On peut arriver pleines d’idées, d’envies, d’espoirs, de détermination et la radicalité pour les conduire. Mais ainsi, on a aussi vite fait de donner des leçons ou d’apprendre la vie à celleux qui ne partagent pas ces idéaux et ont même une conception bien ancrée à ce qu’est la réalité ou, du moins, leur réalité. Il est inconséquent de prétendre vouloir mettre fin au capitalisme et à l’impérialisme néo-libéral, quand on n’est pas en mesure de mettre le doigt sur ce qui constitue en nous même la réalisation d’un processus complexe de formation culturelle, sociale, comportementale sous influence libérale, patriarcale, autoritaire etc. Prendre conscience de ces schémas n’acte pas leur déconstruction. Par ailleurs, le doute, la modestie et l’attention aux autres en sont aussi certainement des remèdes !

Bien des attitudes témoignent d’une lourde contradiction avec les aspirations anti-autoritaires, pourtant si bien soutenues théoriquement. Cela est sans doute relatif au refus ou à l’incapacité de reconnaître et d’accepter ses propres faiblesses ou celles des autres ; des difficultés à rompre avec ces schémas oppressifs, tant dans la conception que dans la sensibilité. Il n’est pas toujours évident de croire qu’il n’y a pas un flic planqué dans la cervelle de chacune de nous, comme un petit diable au dictât prolixe en paroles justes, distribuant les bons et les mauvais points, indiquant la voix de la raison comme refondation de la réal-politique, « ici et maintenant ».

La déconstruction pensée comme posture politique radicale n’offre pas de socle commun suffisant pour une transformation sociale, politique et culturelle. Si elle est nécessaire, sa formulation même intellectualise la démarche, peut la rendre artificielle et la réserver à une caste nouvelle et prosélyte.

De la même façon, la lâcheté et l’ignorance rendent plus complexes les possibilités de tels transformations. Il s’agit donc de trouver comment les contourner. Mais on ne peut forcer quiconque à se libérer, pas plus qu’on ne force l’amour.

Concrètement, nous pouvons créer les conditions matérielles, intellectuelles, affectives et spirituelles propices à la mise en place immédiate de nos aspirations, à commencer par celle de nous reconnaître vivantes ! À nous de transformer nos faiblesses en forces !

La génération no futur a prit le taureau par les cornes !

Les réactions émotives et spontanées, qu’elles s’empressent de déclarer une zad face à un projet de destruction productiviste ou de faire frontalement face à la répression, son corollaire, arrivent rapidement à bout de souffle. Nous ne pouvons nous priver du temps nécessaire à un processus de construction, de partage, de diffusion d’une écologie politique et sociale révolutionnaire, c’est un processus. C’est à dire aussi sortir d’une posture de négation pour affirmer ce que nous érigeons comme étant de fait la négation de ce que nous combattons. En finir avec l’atmosphère anxiogène qui poursuit nos relations. Ainsi, nous ne nous définissons pas en fonction de ce que nous oppose notre adversaire mais en fonction de ce que nous lui opposons. Voilà une façon de choisir son terrain, de prendre la main, de se donner l’avantage. Les taches et les objectifs donnés ne nous accordent pas le luxe d’envisager les choses en deçà et c’est à partir de là que nous saurons mener les meilleurs offensives !

Quand « il faut donner l’exemple face à la menace des djihadistes verts(27) », l’ampleur de la répression (morale et physique) n’est pas relative au rapport de force proposé. Elle répond à une volonté à double tranchant : d’un côté, faire peser un sentiment d’écrasement sur les épaules de toutes celleux qui menacent le principe (a minima la forme) de gouvernance28. Et de l’autre, il éloigne par la peur et le mensonge les possibilités de solidarité.

Ici… ?

Défendre une place, un quartier, un territoire, si l’on veut se donner une chance de réussite, signifie non seulement de s’y installer, mais aussi d’en apprendre l’histoire, d’en connaître les formes, les chemins balisés et non balisés etc. à mesure de quoi, si c’était nécessaire, on s’attache encore aux couleurs, aux odeurs, aux sons, aux textures, aux énergies etc.

Il s’agit donc aussi d’évaluer ses forces : ses possibilités de culture ou d’accès aux ressources vitales, les moyens de défense, les infrastructures disponibles ou potentielles, les effectifs présents, en soutien, en écho etc. Beaucoup de révolutions ont su développer leur présence immédiate au temps et leur originalité intrinsèque pour surprendre, sans compter leur force de conviction et de détermination incorruptible à renverser le pouvoir en place (ce qui n’implique pas logiquement une inversion des rapports de domination). Voilà pourquoi connaître ses nouveaux et nouvelles voisines, développer des échanges et partages logistiques, intellectuels, pratiques, à même de forger des liens, sont de nature à développer une solidarité plus évidente et indispensable à toutes suites(29).

La solidarité vient de ce que l’on est indispensable l’une pour l’autre. C’est la conscience d’une nécessité réciproque, affective, politique, stratégique ou tactique, d’une force collective qui célèbre la vie, d’une puissance qui peut devenir redoutable ! C’est être capable de prendre des risques ensemble. C’est se reconnaître en d’autres.

…et maintenant ?

La conjoncture récente laissait présager que le gouvernement ne tenterait pas d’expulser la ZAD de nddl avant la cop21 : expulser une zone prévue pour le chantier d’un aéroport, si écolo soit-il, ferait sûrement mauvaise effet ! Et quiz de la préparation aux élections pestilentielles ! Sur cette période, ils ont peu le droit à l’erreur. Sans doute profiterons-ils de la COP pour affaiblir autant que possible et s’abattre plus tard et plus fort sur celleux qui les contraignent, tentent de réduire et/ou de détruire leurs privilèges et d’empêcher que leurs folies ne se réalisent. La récente ouverture de la future conserverie à la Noé Verte, à l’est de la zad de nddl30 est une façon d’attaquer par surprise et une très belle manière de réactualiser la zad, de rappeler qu’elle est toujours en mouvement, toujours dynamique, toujours un espace de création. À un moment où le statut quo semblait plus ou moins s’être installé, alors que l’écologie est « à la mode », ce geste rajoute une épine, le symbole même de la conserverie enfonce le cloue et réaffirme la volonté de s’inscrire dans le temps. Surtout dans un contexte où la marche sur la COP s’organise depuis différents espaces en lutte, dans toute la France et au-delà ! Cela montre la pertinence de répondre à des besoins pratiques immédiats et de s’organiser en dehors de l’urgence pour ancrer nos existences dans ce que nous voulons qu’elles soient, car, personnellement, au milieu de tout ça, je ne souhaite pas tant la fin de leur monde que le début d’un notre !

« Zadiste : (nom feminin et masculin) militant(e) qui occupe une ZAD pour s’opposer à un projet d’aménagement qui porterait préjudice à l’environnement » ?

Notes :

1 : La féminisation de ce texte est subjective et arbitraire. Considérant que la langue contribue à notre représentation du monde et façonne notre pensée, les règles grammaticales ici à l’essaie, répondent à une exigence de fluidité de lecture, sans trop de néologismes, et tente une remise en justice du champ des représentations des rapports de domination. Ainsi, une classe sociale dominante gardera la structure grammaticale patriarcale, tandis qu’une dominée sera toujours féminisée, à moins que les rapports en question ne concernent directement les dominations relatives aux sexes et aux genres. Ceci, afin de tenter de visibiliser ces rapports de domination et afin de s’adresser à toutes les personnes qui pourront lire ce texte. Sans prétention, c’est aussi une tentative et un travail de remise en question personnel.

2 : De la zad aux communaux, lien pdf : http://zad.nadir.org/IMG/pdf/de_la_zad_aux_communaux_-2.pdf

3 : « Menaces sur la zad : quelques points de vue sur la question et une copie de l’interview du sous-préfet » http://zad.nadir.org/spip.php?article3158 Le chargé de mission ne donne pas de date. Mais il indique que l’État n’attendra pas le résultat d’un recours contre l’arrêté.

4 : https://www.acipa-ndl.fr/actualites/communiques-de-presse/item/581-notre-dame-des-landes-un-premier-ministre-sous-influence-et-ou-dans-l-ignorance

5 : La Cours administrative d’appel est saisie https://www.acipa-ndl.fr/actualites/communiques-de-presse/item/577-notre-dame-des-landes-la-cour-administrative-d-appel-est-saisie-et-l-etat-continue-de-violer-le-droit-europeen

6 : « NDDL - 22/09 - Pourquoi nous nous opposerons à la venue du juge des expropriations sur la zad » : http://zad.nadir.org/spip.php?article3163

7 : « Le juge est venu, il a vu mais il n’a pas vaincu ! » : http://zad.nadir.org/spip.php?article3173

8 : Appel ZAD-NDDL S’ils reviennent... http://zad.nadir.org/spip.php?article3188

9 Groupes d’organisation horizontaux (plus ou moins ouverts et plus ou moins horizontaux) aux fonctions précises : l’automédic apporte les premiers secours aux personnes ayant subit des violences policières lors de manifestations ou lors d’affrontements ; l’automédia met en place une communication à la fois vers l’extérieur et à l’interieur de la zone ; l’infotraflic aussi appelé bizon futé, est un numéro de téléphone public permettant de renseigner ou de se renseigner sur les mouvements de la police et de la gendarmerie autour des espaces occupés ; l’équipe légale, aussi appelée legal team, met en place les possibilités d’une défense juridique en cas d’arrestation

10 : Comme la barrière de tracteurs autour de la châtaigneraie pendant plusieurs mois ou la présence de plus de 500 tracteurs le 22 février 2014 à Nantes pour les plus spectaculaires et les plus récentes.

11 : D’octobre à novembre 2012, des milliers de Gendarmes mobiles ont tenté d’expulser ce squat de plus de 2500 ha. La résistance eu pour effet de déployer des gestes de solidarité à travers le monde entier.

12 : À l’évacuation de la zad de sivens le 6 mars 2015, il y avait 600 gendarmes mobiles, deux hélicoptères, un drone et un prefet en gilet par-balles pour 40 personnes après une semaine d’agressions des milices fascisantes de la FNSEA, le premier syndicat d’agriculteurs en France.

13 : Cf. liste non exhaustive d’espaces occupés pour des luttes de territoire : http://zad.nadir.org/spip.php?article2889

14 : Un exemple : http://rmc.bfmtv.com/emission/le-site-de-bure-va-t-il-se-transformer-en-nouvelle-zad-905546.html

15 : Reportage M6 Enquête exclusive voir : http://www.20minutes.fr/nantes/1575339-20150330-dame-landes-reportage-enquete-exclusive-zad-fait-reagir-internautes

16 : Dans la santé, l’éducation ou pour une maison associative menacée etc.

17 : Bien que trois zad de la même ampleur seraient certainement en mesure d’ébranler lourdement le pouvoir, en tout état de cause, la concentration des énergies mobilisées autour de Nddl réunissaient probablement la majeure partie des volontés prêtent à s’engager dans de tels combats. D’où la nécessité d’ouvrir encore ce conflit sur la question politique et non sur des problématiques morales ou strictement écologiques.

18 : On peut revenir sur l’expérience plus cohérent de l’ouverture de la zad de Roybon, aller sur https://zadroybon.wordpress.com

19 : http://zadoleron.com/articles.php#volante

20 : http://costif.parla.fr/communique/notre-saclay-des-landes-une-cabane-sur-le-plateau-de-saclay/

21 : http://www.reporterre.net/IMG/pdf/maintien_de_l_ordre-mame_re-analyse_rapport-21_mai_2015.pdf

22 : Cf « Et si on parlait de la répression » https://paris-luttes.info/et-si-on-parlait-de-la-repression-3005

23 : À l’heure actuelle, la zad de Nddl est autonome en alimentation.

24 : Voir http://www.derives.tv/IMG/pdf/ZAD_foncier_terres_agricoles_le_ger.pdf

25 : cf. « les zones humides, on n’en a rien à foutre » journal de Sivens « sans retenue » et recueil éponyme aux Éditions La Lenteur.

26 : cf. « L’histoire d’un ruisseau », d’Élisée Reclus

27 : Terme employé par le président de la FNSEA, Xavier Beulin, dans la campagne médiatique de stigmatisation des occupantes de la ZAD de Sivens.

28 : Supériorité facile de l’État qui attaque violemment une cible très affaiblie.

29 : Voir à ce sujet le texte « la douloureuse, quelques propositions suite à l’expulsion de la zad de Sivens » disponible dans le n°2 de la revue De tout bois, ed. Le Monde à l’envers ou sur https://zadroybon.wordpress.com/2015/05/20/la-douloureuse-2/

30 : Des nouvelles de la conserverie : http://zad.nadir.org/spip.php?article3212