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Intellos, poil au dos !

lundi 7 novembre 2016

Intello.e.s, poil au dos

Ce texte émane d’un processus collectif crée en réu habitant.es il y a deux semaines. Nous nous sommes rencontré.es deux fois à la suite de cela, en plus petit groupe (l’invitation ayant été lancée dans le CR de la réu des zabs) Ont participé à l’écriture : des personnes de la zad, des personnes du monde dit « des sciences sociales », et des gen.tes qui se sentent/vivent entre les deux. Nous avons lu ce texte une première fois à l’EHESS le soir de « l’événement » (et nous avons demandé la parole pour le lire), et avons réitéré samedi soir à a rolandière (ou nous avons aussi demandé la parole pour lire notre texte).

Le texte que nous proposons ici n’a vocation, ni à faire l’unanimité, ni à attendre une quelconque validation de la part des organisateur.ices de cet « événement » Nous sommes des personnes vivant sur la zad et/ou la fréquentant, touchées de près ou de loin par les enjeux posés par les sciences sociales, au sens large. Nous savons que nous ne sommes pas représentatif.ves de la zad, pas plus que les personnes qui portent le projet de cette mobilisation, mais nous ne le sommes pas moins. Nous sommes une autre voix de la zad, tout simplement. 

Comme vous pouvez le lire régulièrement dans des textes émanant du mouvement d’occupation, une de nos richesses et de nos forces, c’est la diversité : des pratiques, des pensées politiques, des cultures, des histoires. Il y a autant de manières de vivre la zad que de personnes la faisant vivre, et il nous semblait important de visibiliser cet aspect. Notamment au sein d’un événement qui a été présenté comme quelque chose de très consensuel, très unitaire, et donc assez peu caractéristique de ce qui se vit chez nous. Pour preuve, nous autres occupant.es avons été "informé" de cette mobilisation, mais n’avons jamais pu en discuter avant qu’elle soit organisée. Dans la culture commune que nous nous sommes construite, cette lacune pose question à un certain nombre de personnes. Certains précédents nous ont largement montré que des discussions en amont évitent le conflit en aval. 

L’invitation à laquelle vous avez répondu propose de construire « des barricades de mots et de sens ». Sur la zad, lorsque l’on dresse une barricade, c’est souvent concerté. Sans quoi l’on empêche peut être son/sa voisin.e de passer. Ici, vous parlez de dresser une barricade, sans concerter largement des habitant.es à l’exception de(s) groupe(s) que vous semblez identifier comme "la zad". Sachez que ça pose problème aux voisin.es que nous sommes (souvent non-intellos) ne faisant pas partie de ce monde « de savoirs » auquel vous vous identifiez et/ou auquel nous vous identifions. 

Il n’est pas question cela dit de mener une guerre ouverte contre les personnes à l’origine de ce projet, il s’agit juste de représenter des ressentis différents, voire contradictoires avec ce qui se passe ici. 

Parce que beaucoup d’entre nous ne sont pas des intellectuel.les, mais se sentent légitiment à s’approprier du savoir, universitaire ou non.  Parce qu’il nous semble qu’il serait possible de mobiliser un monde lié à un savoir spécifique d’une autre manière qu’en appuyant la valorisation sociale liée à cette spécificité, valorisation que l’on tend à combattre par ailleurs. Parce que dans le "et son monde", certain.es d’entre nous veulent aussi aller à l’encontre du monde dit "intellectuel" Parce que nous préférons produire du savoir ensemble, avec "le monde des sciences social", plutôt que de nous faire injecter des vérités scientifiques détachées des réalités concrètes de l’espace où nous vivons.  Aussi parce que cela nous permet de choisir nos pratiques sociologiques/anthropologiques, en fonction de l’éthique qui nous convient, et de ne pas dépendre de l’ensemble des pratiques (= la praxis, nous aussi on connaît des gros mots) consacrée de la profession. 

Notre rapport aux sociologues et aux intellectuel.les est empreint de méfiance. Nous nous sentons objets d’étude, des animaux en cage, dont les comportements sont notés et analysés. Et lorsque nous ne sommes pas objets d’étude, on nous « propose » de nous « aider à trouver des outils » « qui nous semble éclairer la zad ». Merci. Mais malgré une bonne volonté évidente de votre part,cela ne correspond pas à notre idée de transmission de savoir. Nous voulons également exprimer notre incompréhension face à certains choix des mots. Pourquoi cette volonté de "Défendre la Zad" en utilisant des mots comme Démocratie, Désobéissance civile ou Zadiste, mots que nous n’employons que peu voire pas sur zone, sauf pour les décrier ? Pourquoi Sister Resist, une nouvelle parlant de femmes, est écrite par un homme plutôt connu pour des écrits assez peu déconstruits ?

Quoi qu’en dise dorénavant l’invitation officielle, cet événement nous a été présenté sur la zad comme une rencontre entre deux mondes d’intellectuel.les. De par ce vocabulaire un peu schématisant d’une catégorie sociale relativement puissante (puisque détentrice de savoir), un nombre de personnes s’excluront de fait de ce week-end, car elles ne s’y sentiront pas à leur place. Le statut de spécialiste comme porte d’entrée offre éventuellement le confort de se sentir utile, l’assurance d’avoir quelque chose à dire et la confiance dans l’autorité de son point de vue. Mais arriver sur la zad avec ce statut exclut de la rencontre bon nombre de personnes qui ne se retrouvent pas dans cet « entre-soi intello ». 

La forme proposée est d’emblée décourageante pour certain.es, qui se sentent incapables d’être attenti.ves des heures à écouter les textes des différentes lettres, qui se sentent incapables de discuter avec des gen.tes du "monde des savoirs" car craignant de ne pas être à armes égales dans un débat. De par ces craintes, illes peuvent également se sentir illégitimes de tout questionnement ou critique envers ce projet. 

Le choix d’un format événementiel ne nous parle pas, d’autant qu’il émane d’un monde qui se targue de réfléchir au fond des choses. L’événement, c’est la coûteuse logique du spectacle et du divertissement, celle du faire pour faire où toutes les ressources sont investies dans une forme dite créative, se voulant grandiose, mais qui, tout en flattant les égos, fait écran au fond, suspend le questionnement et produit du folklorique au détriment du folklore… La logique événementielle intègre les attentes les plus commerciales du jeu médiatique ; elle permet d’évacuer le fond en s’amusant de la forme ; elle se satisfait des "notoriétés" ; elle est une mise en scène anesthésiante du consensus. 

Nous sommes parfaitement conscient.es que cela fait des années que des gentes de tout milieux et n’ayant pas plus de connaissances des réalités de la zad, écrivent des textes et s’expriment au sujet de ce que nous vivons ici. Il nous semble cependant que la différence réside dans le fait que des intellectuel.les ont une portée médiatique bien plus grande et un crédit social bien plus important que beaucoup. La question des dominations, qu’elles soient de genre, de classe, de race ou de statut est une préoccupation quotidienne. Nous apprenons qu’être conscient.e de ses privilèges est un processus long, et cependant nécessaire dans la lutte du "et son monde" qui nous est chère. Même si on essaie de perturber le jeu des hiérarchies habituelles, le principe de l’événement et de l’abécédaire, par leurs formes, font le jeu des dominants et confortent donc, en dépit de quelques zigzags bien pensés et bien pensants, les rapports de domination que l’événement voudrait bousculer (mais pas trop). Ce n’est pas parce que l’on se dit ouvert.es à tou.tes et libéré.es des dominations de genre, de statut, etc, que nous faisons des choix en ce sens.   Par ce texte, nous souhaitons contribuer à un appel aux mondes dits intellectuels en leur demandant de ne pas partir de leurs formations, de leurs institutions et de tout ce qui les mènent inévitablement à prendre la zad pour objet d’étude. On souhaite les inviter à déposer leurs blouses blanches pour venir, non pas en tant que dépositaire d’un statut ou spécialiste et personnalités reconnues, mais en tant qu’individu politique sensé et sensible.

Avoir conscience, et travailler sur ce qui en nous fait que l’on contribue à la bonne marche de cet ordre établi que l’on combat. Collectivement, nous pouvons trouver la force de mettre de coté nos certitudes et nos pseudos acquis valorisés par l’ordre social, car leur étant utiles, pour venir écouter et ressentir en tant qu’individu politique souhaitant prendre part à la lutte.

La zone est un support de travail individuel, et la critique n’est féconde que lorsqu’on commence par la diriger vers soi même. Pour celleux qui le souhaitent , nous vous proposons de nous retrouver ce dimanche, vers 14h, à l’issue du repas à l’ Auberge des Q de Plombs, à la Wardine. Ce sera l’occasion d’échanger sur ce texte, ou plus largement, et de mieux comprendre nos démarches respectives.

Les Energumènes Hautement Enervé.es Super Sympas