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Raser une maison...

lundi 29 octobre 2012

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À propos des expulsions à Notre-Dame-des-Landes

La ferme des Planchettes après l’opération César (photo automedia ZAD)

Ca fait dix jours que César, l’opération impériale d’expulsions sur la ZAD est lancée. Le PS, dans un interêt bien compris, semble ambitionner une expulsion propre, sans vague, qui preserverait la paix sociale et ce qui leur reste peut-être de façade « socialiste ». Il n’y a là rien de surprenant, si ce n’est le fait que les écologistes au gouvernement n’aient pas encore réussi à faire certifier l’expulsion HQE.

Mardi matin n’a pas débarqué chez nous un « dispositif militaire disproportionné » mais une réponse policière banale et systématique à celleux qui résistent. Nous le savions, mais le recul ne supprime pas la violence du choc.

Pourtant l’abattement n’est pas la règle tant les solidarités à l’œuvre se sont multipliées. Liens et positions sont en ébullition. Les limites se redessinent sans arrêt. Les gestes de lutte et messages de soutien ont semblé venir du monde entier, donnant une force surprenante à cette lutte dans ce moment où elle en avait bien besoin. Quelques cloisons entre nous ont sauté et c’est un joli pied de nez à César et à ses années de travail médiatico-policier de construction de l’ennemi intérieur. Dans le rythme fou de ces journées et de celles encore nombreuses à venir, il est bien difficile de s’extraire un moment de l’urgence. Prendre du recul ou anticiper la suite semble illusoire tellement la situation change à un rythme effrené. Cette intensité rare offre un contexte de partage large d’expériences, d’envies et d’idées. De nombreuses positions sont exprimées, certaines sont relayées par l’arsenal médiatique ravi de cette sorte de mini-guerre à portée de la main, d’autres sont diffusées par une multitude de moyens autonomes. De là, part l’envie de porter aussi des positions politiques pour alimenter les innombrables discussions que la situation fait émerger.

Une pensée forte va vers celleux qui luttent partout dans la grande brume de cette « époque si riche en spectateurs et si pauvre en complices », les expulsé-e-s sans bruit, les personnes qui subissent les contrôles de flics et tabassages tous les jours, celleux qui vivent avec la peur au ventre, celle du contrôle d’identité, celle du contrôleur dans les transports en commun. Celleux qui n’ont nulle part d’où se faire expulser, les exploité-e-s, les oppressé-e-s, les ratonné-e-s, celles qui meurent sous les coups de leur mec, celles qui vivent sous les coups de leur mec, celleux qui n’ont pas la bonne couleur de peau pour bénéficier d’un soutien large quand l’armée d’en face débarque et vers tou-te-s celles et ceux qui ne sont pas du coté confortable des inégalités et qui ne le seront jamais.

Barricade (photo automedia ZAD)

Raser une maison, ou un quartier, est tout à l’opposé de l’acte « barbare ». La démolition, c’est la banalité de la civilisation qui se construit toujours sur des ruines encore fumantes. Ce projet d’« aéroport du grand ouest » n’est pas spécialement anti-écologique, inutile et nuisible. Il n’est qu’une pierre parmi d’autres dans la logique d’aménagement de cette région pour la rendre compétitive et rentable sur le marché des métropoles. Remodeler des quartiers, changer les noms et les usages des lieux, définir des axes de développement pour des espaces à rentabiliser est le travail quotidien des décideurs, élus de tous bords et experts. Réaliser ces projets, s’engouffrer dans ces nouveaux marchés est le travail quotidien des investisseurs et profiteurs.

Raser une maison, c’est bien plus qu’une question de « logement », ce mot évoquant en effet plutôt un lieu où l’on passe le temps de repos avant de retourner au travail. Ce dont il s’agit ici, c’est surtout de tenter d’anéantir un lieu de vie, ses moyens matériels d’autonomie mais aussi toutes ses imbrications sociales, locales, liens d’amitié, d’entraide, de solidarité, ses conflits aussi. Ainsi, chaque jour, partout, des milliers de personnes sont délogées, expulsées, contraintes de déménager, de quitter leurs réseaux de débrouilles, de repartir à zéro ailleurs. C’est vrai, ça se voit moins d’habitude, mais l’effet d’isolement et d’affaiblissement est le même et constitue la base de la domination capitaliste qui a besoin d’individus dépendants au marché et serviables.

Raser une maison, c’est souvent en effacer les traces rapidement, en « _nettoyant_ » scrupuleusement ou en reconstruisant par dessus. Les traces de l’acte de destruction sont des bribes de l’histoire des vaincus qu’il s’agit de faire disparaître. Sauver des décombres quelques poutres, raconter des histoires de ces lieux, prendre des photos avant le désert sont autant d’actes de résistance face à la violence de la réécriture de l’histoire par les dominants. Garder des traces pour que la colère sache exister contre l’oubli. Ces « _places nettes_ » laissées là où nous vivions font écho à tous ces « _aménagements_ » qui déracinent, à tour de bras de tractopelles, en grignotant aussi chemins, terrains de jeu ou espaces libres.

Raser une maison en assumant la tactique de la terre brulée, appeler « au calme » tout en osant prétendre que « tout s’est bien passé », c’est nier la violence d’un tel acte. Ces tas de gravas sont des plaies ouvertes qui risqueraient de nourrir la colère. Et ces pierres, si rares dans ce bocage rebelle, appellent si fort à l’exprimer, à ne pas la laisser ronger l’intérieur, à la faire sortir de soi de la manière la plus instinctive qui soit. Les fracas des gravats dans les bennes, les bip-bip des bulldozers et les convois aux girophares bleus résonnent dans le brouillard et tentent de graver en profondeur le sentiment d’impuissance. Alors les traces de bitume fondu sous les barricades, les quelques arbres tombés, les griffures de sous-bois, les courbatures d’avoir trop courru, crié ou jeté, les traces de coups parfois, sont les seules cicatrices visibles qui restent.

Mais cette fabrique du vide et de l’oubli à l’oeuvre partout sur le territoire de l’empire se confronte ici tout particulièrement à une construction d’une autre sorte. Ce qui s’est tramé réellement ces dernières années dans la lutte contre l’aéroport et qui apparaît au grand jour dans ce moment de crise est un esprit de résistance et de solidarité que le nombre de militaires et de machines ne pourra empecher de continuer à grandir. Si, militairement, la défaite était tellement prévisible, la surprise est grande de vivre ce moment avec cette sensation forte d’une communauté en lutte. Des liens se renforcent, se révèlent, ou se tissent encore, dans le rythme incroyable de ce moment où tout circule plus vite dans cet espace plus « sécurisé » que jamais, avec cette réactivité face à des situations nouvelles et ce tourbillon de gestes de refus... Bon, la confusion est grande, ce moment est hors contrôle pour tout le monde, et ça c’est quand même pas loin de ce qu’on pourrait déjà appeler une victoire, non ?

Manif du 20 octobre à Nantes (photo Val K. CC BY-NC-SA 3.0)

Hors Pistes

un groupe en luttes contre l’aéroport et son monde né dans le mouvement d’occupations

Octobre 2012

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