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L’autonomie en question

samedi 18 novembre 2017

L’autonomie, c’est un mot qui revient (de plus en plus ?) souvent dans les discours et les écrits, que ce soit ici à la zad de NDDL ou dans beaucoup de luttes plus ou moins contestataires.

J’essaie de dégager des idées et de les mettre en mots, mais ça provient et ça renvoie pour moi à des questions toutes pratiques qui se pose à moi – à chacun.e d’entre nous – au quotidien, sur qu’est-ce qu’on fait, avec qui, pour qui, pourquoi… Être autonome, si on part de la racine du mot, ça voudrait dire : « se fixer ses propres lois ». Bon, vu qu’on est nombreu.ses (parmi les occupant.es de la zad) à pas être trop fan des lois et du droit, on veut sûrement plutôt dire quelque chose comme : « se fixer (à soi-même) les termes de son action » (en tout cas c’est en gros comme ça que je l’entend, je serai curieux d’avoir des retours et d’autres définitions). Autrement dit, décider du pourquoi et du comment on agit, de ses objectifs et des moyens de les réaliser.

Mais une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand-chose. Si on ne considère pas les personnes juste comme des individu.es isolé.es, chacun.e dans leur bulle, mais aussi le tissu de relations dans lequel nous sommes tou.tes pris.es, l’autonomie, ça pose plein d’autres questions.

Un peu en vrac, en voilà quelques unes :

  • Est-ce qu’on peut « être autonome » (tout court, du genre « autonome dans l’absolu », si une telle expression à un sens…) ? Qu’est-ce que ça voudrait dire ? Ou est-ce qu’on pourrait seulement être/devenir « autonome par rapport à » quelque chose ? À une contrainte, un pouvoir, une relation de domination ou pas… ?
  • Mais dans ce cas quelles différences y a-t-il entre autonomie et émancipation ? À première vue, l’émancipation (l’action de s’affranchir d’une dépendance ou d’une autorité), me semble plus un processus, un truc dynamique qui se produit, se déroule. Tandis que l’autonomie semble davantage désigner un état (où l’on est soi-même sa propre autorité ?). Mais les zapatistes disent aussi que « l’autonomie est un chemin »… Peut-on être autonome sans être/s’émanciper, ou vice versa ? Une piste : l’émancipation aurait peut-être plus à voir avec l’absence de pouvoir contraignant, de domination, et l’autonomie avec le pouvoir propre de chacun.e ?
  • Ensuite, on parle souvent de différentes formes d’autonomie. On entend par exemple les mots « autonomie matérielle », « autonomie politique », « autonomie alimentaire », etc. Est-ce que l’autonomie est une chose si simple qu’on puisse la découper en domaines séparées, et penser que si on gagne en autonomie dans un domaine, on a gagné en autonomie dans l’ensemble ? Ou est-ce que les différentes formes, dimensions, de l’autonomie peuvent avoir des relations plus complexes, et même parfois entrer en contradiction ? À mon avis oui – quelques exemples de ces contradictions (un peu simplifiés, donc caricaturés, pour les souligner) :
    • Quand on fait de la récup’, on gagne en autonomie par rapport à la contrainte de l’argent, donc du salariat / on reste dépendant du système de production agro-industriel, et du système de la grande distribution capitaliste / on perd en autonomie sur le choix de son alimentation.
    • Quand on cultive des champs occupés au tracteur, on gagne en autonomie alimentaire (sur le choix et la quantité de nourriture qu’on peut produire) / on perd en autonomie par rapport au système pétrolier, et quelque part aux industries métallurgique, mécanique, automobile.
    • Pour assurer son autonomie matérielle, on peut choisir de passer des alliances avec des personnes ou groupes n’ayant pas vraiment voire pas du tout les mêmes objectifs politiques / à l’inverse, pour défendre son autonomie politique, on peut se couper de ressources et d’alliés potentiels qui auraient permis de développer d’autres dimensions de son autonomie.
  • Enfin, une dernière grande question mais pas la moindre, est-ce qu’on peut être/devenir autonome au dépens de (quelqu’un.e ou quelque chose d’autre) ? Si quelqu’un.e dépend de soi par exemple, peut-on parler de devenir autonome à son égard (à son encontre ?) ? Inversement, être ou devenir autonome peut-il impliquer la négation de l’autonomie d’autrui ? Ça ramène aux questions sur autonomie/émancipation, et surtout à leur possible contradiction. Est-ce qu’on peut construire son propre pouvoir comme autonome si ça implique de maintenir d’autres dans des relations de dépendance, de contrainte ou de domination ?

Par exemple, peut-on parler d’autonomie alimentaire par l’élevage, quand il implique la négation radicale de l’autonomie d’autres animaux ?

Je précise que la réponse à ces questions ne m’apparaît pas comme une évidence.

Peut-être qu’on peut parler d’autonomie de manière contradictoire (quelque chose qui nous donne de l’autonomie d’un côté pour nous en refuser/reprendre d’un autre). Peut-être aussi qu’on peut parler de formes d’autonomie qui émancipent et d’autres qui aliènent.

Dans ce cas-là, peut-être qu’il faudrait repenser un peu notre rapport à l’autonomie, et ne pas en faire l’alpha et l’oméga de nos objectifs politiques, mais seulement le moyen d’autres fins...