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Ballade naturaliste sur la zad

mardi 21 novembre 2017

L’idée de ces rencontres naturalistes (chaque 2ème dimanche du mois, mais ça peut changer) c’est de réfléchir ensemble à des usages qui permettent à la diversité d’espèces présentes sur la zad de se maintenir. Il s’agit donc d’apprendre à les connaître pour ne pas trop interférer avec elles, mais sans pour autant tomber dans les travers des réserves naturelles. On ne veut pas muséifier, sacraliser, avoir une logique très technique de gestionnaires qui partirait du principe que c’est possible de tout connaître et tout gérer.

La zad, c’est un des derniers endroits où il y a à la fois autant de haies, de prairies oligotrophes et de mares. Jusqu’à présent, cette forte diversité d’espèces a pu se maintenir bien que la zad soit fortement habitée depuis quelques années. On veut chercher à voir comment faire en sorte que ça continue. On pourrait continuer de cartographier les zones sensibles, déterminer les enjeux spécifiques à chaque espace, organiser ensemble des chantiers collectifs quand on pense que c’est nécessaire d’intervenir quelque part. On s’intéresse aussi à l’historique des différentes parcelles, comment les milieux ont évolué dans le temps, par exemple avant il y avait sûrement beaucoup moins d’espaces boisés que maintenant.

Cette diversité d’espèces est liée à la diversité des milieux présents ici, qu’on veut donc aussi préserver. Certaines espèces ont besoin de milieux très spécifiques : l’alouette des champs aime les immenses champs, les salamandres ont besoins d’espaces boisés...* Il ne s’agit pas de figer les choses mais d’entretenir une dynamique favorable. Les espèces qui vivent ici ont coévolué avec l’homme qui a creusé des mares, créé et planté des talus...

Il n’y a pas de mauvaises herbes

On part du principe qu’il n’y a pas en soi de mauvaises herbes / espèces (par exemple le chardon ; le cirse, est très important pour la pollinisation) mais que c’est une question d’équilibre. On veut ne pas s’embrouiller au sujet de "telles personnes auraient dû faire tel truc" mais essayer de dépasser nos visions individuelles et se dire "on fait quoi ensemble maintenant ?" tout en restant ouvert sur le fait que plein de pratiques sont possibles, peuvent co-exister, être complémentaires.

* Là on parle un peu des reptiles de la zad. Avant, la route des fosses noires c’était une autoroute à reptiles mais l’enfrichement des talus fait que ceux-ci sont toujours à l’ombre, alors que pour vivre les reptiles ont besoin de se chauffer au soleil. Si on voulait les favoriser il faudrait défricher le côté nord des talus. Et ne pas broyer les tas de ronces et fougères entre avril et octobre car c’est là qu’ils sont. Ici les serpents sont majoritairement des couleuvres, il y a aussi quelques vipères, (mais ceux qui rentrent dans les cabanes sont des couleuvres). Le lézard vivipare est extrêmement présent sur la zad. On a compté 130 individus différents alors que jusqu’alors les comptages de toute la Loire Atlantique ne recensaient que 10 individus. Ils hibernent dans les touradons de molinie. C’est un petit lézard brun qui contrairement au lézard des murailles ne vit pas proche des habitations. On le reconnaît à la façon dont il se déplace, plus lente.

Ballade

[On passe rapidement par le jardin médicinal, qui est envahi par la petite oseille. Une telle présence indique un sol très carboné, déstructuré. Une mise en jachère de cinq ans serait bénéfique. Des tentatives avec engrais verts, apport d’azote et calcaire sont en cours...]

On s’arrête ensuite dans l’une des prairies oligotrophes (PO) de la zad. Ce sont des prairies pauvres [oligo=peu, trophe=riche] en éléments minéraux assimilables par les plantes, soit parce qu’il y a peu d’éléments minéraux, soit parce qu’ils sont rendus inassimilables par la forte acidité. C’est dû au fait qu’elles ont été fauchées sans recevoir d’engrais et pâturées modérément. Il y a plein de stades dans l’évolution d’une PO, elle l’est + ou -, ici c’est plutôt moyennement oligotrophe. La biodiversité (les plantes, les insectes...) associée dépend du degré d’oligotrophie. Les plantes des PO poussent très prudemment ; elles commencent par faire beaucoup de racines et la partie aérienne se développe doucement donc sont fortement concurrencés par les autres plantes en milieu non oligotrophe. Les PO sont des espaces fragiles car si elles commencent à s’enrichir (par un amendement) alors ça n’est réversible que sur du long terme (500 ans) voire jamais, parce que certains éléments, comme le phosphore, s’accumulent durablement. Ces milieux, très communs avant la généralisation des engrais chimiques, sont aujourd’hui devenus rares mais sur la zad il y en a encore 38-40 ha. Si jusque là cette prairie est resté PO, c’est que ça fonctionnait par rapport aux usages, on veut faire en sorte que ça continue. Quelques plantes caractéristiques des PO :
Agrostis des chiens, graminée
Cirse découpé, un chardon mais pas celui qui est embêtant en agriculture. A cette saison on ne voit que les feuilles. Pousse parfois de manière très dense sur une petite zone de la prairie.
Carum verticillé ombellifère, fait des ombelles blanches
Danthonie graminée, feuilles glauques (=bleu vert) d’un côté et vertes de l’autre

On va ensuite dans la lande, une des dernières de nddl. Sa surface a diminué (emboisement) et elle est déjà bien dégradée. Il reste très peu de landes, ce sont des milieux qui marquent l’histoire (cf. le livre Landes de Bretagne, de François de Beaulieu). L’existence (et, autrefois, la forte présence en Bretagne) de ces milieux était très dépendante de l’usage qui en était fait. La première année, du sarrasin et de l’ajonc étaient semés ensemble. Le sarrasin était récolté puis c’était une culture d’ajonc pendant 8-10 ans qui servait à nourrir les chevaux et vaches mais il fallait qu’il soit frais du jour et pilé. Des moutons pâturaient dans les landes. Toutes les ronces étaient arrachées et on ne laissait pas aux arbres le temps de se développer (une loi disait que si l’arbre dépassait 2m alors il appartenait au propriétaire de la parcelle donc les usagèr.e.s les abattaient avant ça). Les landes étaient fortement associées à la misère, au travail, ce qui explique un peu pourquoi elles n’ont pas été préservées. Cette lande est déjà bien enfrichée par des ronces, fougères, molinie, arbres... témoignant de l’abandon de sa gestion.

En octobre 2015, les naturalistes ont fait un chantier de défrichage de quelques parties cette landes, sur environ 15 m2. Le but était en parti juridique : il s’agissait d’essayer de faire revenir la gentiane pneumonanthe qui n’a pas été observée ici depuis 15 ans mais dont il est fort probable que les graines soient encore dans le sol. Ça n’a pas encore fonctionné pour la gentiane mais la végétation typique de la lande est revenue à cet endroit et se développe bien :
Bruyère fleurs en boules à pétales soudés, ou callune à fleurs en forme de grelot (pétales séparés) , fleurs séchées toujours présentes
Carex : plantes plus semblables à des graminées. Présent ici : Carex demissa On pourrait imaginer défricher toute la surface de la lande, mais c’est très long : il faut enlever les molinies qui font des touradons, les ronces, etc. et aussi 5 cm de terre. Il faut faire ça à la main pour ne pas détruire ce qui y vit ; dans les touradons des lézards vivent, etc. Ou on pourrait défricher le tour de la parcelle, la clôturer et y faire pâturer des chèvres. D’autant + que, a priori, la gentiane pneumonanthe a besoin d’une certaine dose de piétinement pour apparaître (pas trop, pas des vaches, mais chèvres ou moutons).

Plus loin, on voit la bruyère arborescente (bruyère à balais). Notre-Dame-des-Landes se trouve approximativement à la limite nord de sa répartition (il y en a dans la forêt du Gâvre mais pas plus au nord).

Un peu plus loin, une autre zone a été défrichée. On y observe un « coussin » de mousse, composé d’une espèce de sphaigne.

Une lande peut évoluer soit vers un bois soit vers une tourbière. Ici, sur une petite zone (environ 20 m2), une tourbière s’est installée. Il s’agit d’un endroit où la végétation en place se décompose peu en raison de l’asphyxie du sol et où la matière organique s’accumule : il se forme alors de la tourbe. La tourbe peu s’accumuler sur plusieurs mètres, s’élevant en moyenne d’1 mm / an (en profondeur, après tassement) et jusqu’à 1 cm / an en surface*. C’est cependant un milieu vraiment particulier et rare. A partir d’un seul type de mousse, la sphaigne, un écosystème se crée. Certaines de ses cellules sont des réservoirs d’eau ce qui rend le milieu asphyxié en plus d’être aussi très acidifié. Les éléments minéraux deviennent alors très indisponibles, très peu de plantes peuvent pousser là. Les sphaignes édifient et modifient leur environnement, le rendant si contraignant que seules quelques espèces très adaptées peuvent survivre. On pourrait y trouver des plantes carnivores qui, justement, comme elles ne peuvent pas trouver de nutriments dans la terre en trouvent dans les insectes. En tout cas, cet espace montre l’évolution possible de cette lande vers une tourbière, milieu qui est encore + rare que la lande. (Mais cette sphaigne ne supporte pas le piétinement, donc si on fait pâturer cette lande il faudrait clôturer cet espace si on veut le préserver.)

*Ici la tourbe, essentiellement composée de sphaigne morte et de callune, ne semble pas encore tassée et son épaisseur, de l’ordre de la vingtaine de cm indique que la tourbière est probablement encore jeune. L’absence de la totalité du cortège d’espèces végétales généralement associé aux tourbière va également dans ce sens. Mais des études plus précises seraient nécessaires pour la dater et comprendre son origine (déprise agro-pastorale ?). (Précision de Guillaume, botaniste)

Site des naturalistes ici