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Un poème de soutien : La Préfète aux champs

samedi 14 avril 2018

Librement adapté de Alphonse Daudet https://www.grinalbert.fr/images/telechargements/bibliotheque/daudeta/Sous-prefet_aux_champs.pdf

Madame la Préfète est sur la zad. Chauffeur devant, blindés derrière. Madame a Préfète regarde tristement sa serviette en chagrin gaufré ; elle songe à la conférence de presse qu’elle va devoir donner tout à l’heure à Nantes.

"Mesdames, Messieurs, l’état de droit doit être restauré..."

Mais elle a beau faire et répéter vingt fois

"Mesdames, Messieurs, l’état de droit doit être restauré...." le reste du discours ne vient pas.

Il fait si chaud dans cette voiture !... À perte de vue, la route des chicanes poudroie sous le soleil de Bretagne .

Tout à coup Madame la Préfète tressaille... Là-bas,, elle vient d’apercevoir un petit bois de chênes verts qui semble lui faire signe.Le petit bois de chênes verts semble lui faire signe :

"Venez donc par ici, Madame la Préfète ; pour préparer votre conférence de presse, vous serez

beaucoup mieux sous mes arbres..."

Madame la Préfète est séduite ; elle descend de voiture et dit à ses gens de l’attendre.

Dans le petit bois de chênes verts il y a des oiseaux, des violettes, et des sources sous l’herbe

fine... Tout ce petit monde-là n’a jamais vu de préfète, et se demande à voix basse quelle est cette dame curieusement fringuée.

Impassible au milieu de tout ce joli tapage, Madame la Préfète invoque dans son cœur la Muse des gardes mobiles, et, le crayon levé, commence à déclamer de sa voix de cérémonie :

"Mesdames, Messieurs, l’état de droit doit être restauré...."

Un éclat de rire l’interrompt ; elle se retourne et ne voit rien qu’un gros pivert qui la regarde en

riant, perché sur son claque. La préfète hausse les épaules et veut continuer son discours ;

mais le pivert l’interrompt encore et lui crie de loin :

"À quoi bon ?"

"Comment ! à quoi bon ? dit la préfète, qui devient toute rouge ; et, chassant d’un geste

cette bête effrontée,elle reprend de plus belle :

"Mesdames, Messieurs, l’état de droit doit être restauré...."

Mais alors, voilà les petites violettes qui se haussent vers lui sur le bout de leurs tiges et qui

lui disent doucement :

"Madame la Préfète , sentez-vous comme nous sentons bon ?"

Et les sources lui font sous la mousse une musique divine ; et dans les branches, au-dessus de

sa tête, des tas de fauvettes viennent lui chanter leurs plus jolis airs ; et tout le petit bois conspire

pour l’empêcher de composer son discours.

Madame la Préfète grisée de parfums, ivre de musique, essaye vainement de résister au nouveau charme qui l’envahit.

Elle s’accoude sur l’herbe, dégrafe sa veste, balbutie encore deux ou trois fois :

"Mesdames, Messieurs, l’état de droit doit être restauré....Mesdames, Messieurs... Mes..."

Puis elle envoie les journalistes au diable ; et la Muse des gardes mobiles n’a plus qu’à se

voiler la face.

Lorsque, au bout d’une heure, les gens de la préfecture, inquiets de leur patronne, sont entrés dans le petit bois, ils ont vu un spectacle qui les a fait reculer d’horreur...

Madame la Préfète était couchée sur le ventre, dans l’herbe, et, tout en mâchonnant des violettes, faisait du rap avec le ZSR