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2 jours avec les profileurs du SIT : quand la police politique travaille sur une bête affaire de tags

mardi 20 novembre 2012

Un récit de la garde à vue de camarades parisiens.

Il est autour de 1h du matin ce vendredi 16 novembre 2012 quand une voiture de la police de proximité s’arrête au niveau du 150 avenue Daumesnil (Paris 12ème). Nous sommes alors deux sur le trottoir juste devant la permanence du Parti Socialiste. Et sur les murs de celle-ci, quelques inscriptions au marqueur et une série d’affiches sont apposées là pour soutenir la lutte contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Trois flics débarqués du véhicule entreprennent de nous interpeller et font un inventaire (avec photographies) des « dégradations », avant de crachoter dans leur talkie-walkie : Delta, Oscar, Mike...

On nous embarque. Motif invoqué : « Outrage à personne dépositaire de l’autorité publique » (Article 433-5 du Code Pénal). Il semblerait que l’inscription « Ayrault-porc, nous serons ta Bérézina » relevée sur la façade soit à l’origine de l’inculpation. Et il semblerait même que les policiers nous ont pris en flagrant délit de l’avoir fait. Pourtant, personne n’écrivait sur ce mur lorsqu’ils sont arrivés. Et nous nous trouvions juste là, en pleine contemplation de l’œuvre.

Alors que je suis déjà menotté dans la voiture, la radio de celle-ci annonce que nous allons être transférés dans les locaux du Service d’Investigation Transversale, situés rue Riquet dans le 19ème. Ça me rappelle quelque chose : http://paris.indymedia.org/spip.php?article7092

Et voilà que les deux voitures de police qui nous emmènent sont lancées à toute blinde sur les avenues de Paris, manquant à chaque intersection de tuer un cycliste pour être certains de ne pas dépasser les délais légaux imposés par la procédure. Précisons qu’arrivés à mi parcours, les flics de la première voiture se rendent compte qu’ils ont oublié les marqueurs sur le rebord de fenêtre de la permanence socialiste. Retour – très - rapide avenue Daumesnil : ce serait bête d’oublier les pièces à conviction...

Arrestation + 30 minutes : transfert au SSIT (Paris 19ème)

1h15, on est placés en garde-à-vue. Un flic présent dans le hall m’écrabouille la mâchoire parce que j’ai osé ne pas me taire quand il m’a demandé de la boucler. Mise en condition. On nous place bientôt en cellule : retrouvailles avec les clapiers qui puent la pisse. D’autres gars sont déjà là, accusés de cambriolage. Forcément, c’est aussi une des spécialités du SIT d’enquêter sur ce type d’affaires, en plus des violences urbaines, des phénomènes de bandes, du racolage et de certaines affaires sensibles incombant à la Direction de la Police Urbaine de Proximité (DPUP).

Bientôt, nous retrouvons l’OPJ sorti d’un vieux film anglais qui sévit toujours à cette adresse. Nous avons chacun une avocate qui nous assiste pendant l’audience. Nous n’avons rien à déclarer, l’OPJ s’ennuie. Mais il reste flegmatique, placide, pose ses questions de routine et imprime son PV qu’il nous demande de signer. Pas envie de signer, on retourne en cellule. Plus tard, on nous demande aimablement si nous souhaitons donner notre ADN. Que dalle, on refuse. Un nouveau chef d’inculpation apparaît dans notre procédure : « refus de se soumettre à un prélèvement biologique » (Article 706 du Code Pénal).

Arrestation + 11 heures : transfert au 27 boulevard Bourdon (Paris 4ème)

Alors qu’on est enroulés dans les couvertures dégueulasses de la taule Riquet pour résister au froid, quatre flics en civil viennent nous tirer de nos cellules pour nous emmener dans les autres locaux du SIT près de Bastille. Dans la voiture, la flique assise entre nous deux, Alison, écrit des sms à son collègue Olivier concernant des clés de bagnole, tandis que ses collègues nous demandent la raison de notre interpellation. Un autre nous précède en moto.

Toujours menottés, on nous sort de la voiture et on nous fait entrer par la petite porte arrière du commissariat située rue de l’Arsenal, puis on nous colle dans deux cellules juxtaposées du poste de police. Un flic d’accueil nous explique gentiment comment utiliser le robinet et le wc turc qu’il y a dans chaque cellule. En tout cas les cellules sont plus propres et moins glauques qu’à Riquet. Mais une taule reste une taule.

Quelques temps après, entretien avec nos avocates respectives et nouvelle audition, cette fois-ci avec Alison et en présence des avocats encore une fois. Elle nous demande d’expliquer notre version des faits, à savoir quand et comment nous nous sommes trouvés devant la permanence du PS et si oui et de quelle manière nous en avons gribouillé les murs. Autant dire qu’on n’a pas grand chose à déclarer. Elle nous interroge aussi sur nos raisons de refuser de tourner le coton-tige dans notre bouche. Elle nous sort l’argument classique du « si c’était ta fille qui s’était faite violer, tu serais contente qu’on retrouve le violeur avec son ADN ». Que dire ? Évoquer la question du totalitarisme, du contrôle total de la population au nom de la prévention du crime ? Je me tais, c’est mieux. Mais à la rigueur on s’en fout, c’est la suite qui est croustillante. Et j’y viens.

Dans l’après-midi, coup d’éclat. On nous notifie une supplétive de garde-à-vue : dix nouveaux chefs d’inculpation s’ajoutent à ceux d’outrage et de refus d’ADN. Quelqu’un quelque part a suggéré aux braves agents du SIT de nous interroger sur dix autres faits de dégradations commis à l’encontre de différents locaux du Parti Socialiste entre le 28 octobre et le 10 novembre ! Que de faits d’armes à notre actif !

Arrestation + 17 heures : prolongation de la GAV de 24 heures

L’enquête a pris soudainement une autre dimension. Mon camarade de galère est emmené à son domicile pour une perquisition. Et après 19 heures, alors qu’il a été ramené en cellule et que le procureur a décidé du prolongement de notre garde-à-vue, le SIT prend congé de nous pour une longue nuit de silence. Toutes les cellules sont occupées et la nuit apporte de nouveaux voisins, certains interpellés pour bagarre, d’autres pour état d’ivresse. Les loquets des autres cellules claquent, des gens passent et repassent dans le couloir, puis finalement le sommeil finit par venir.

Arrestation + 32 heures : seconde perquisition

Je suis réveillé vers 9 heures du matin par Nicolas, Grégoire, Jerome et Ken, quatre flics du SIT qui viennent m’emmener en perquisition à mon domicile. Pas de mandat, puisqu’on est dans le cadre d’une enquête de flagrance. « Flagrance », ça veut dire que la police fait ce qu’elle veut dans un délais de 7 jours suivant l’arrestation en flagrant délit. Ils ont trouvé ma vraie adresse (que je ne leur avais pas donné) et foncent à travers la capitale ensommeillée pour aller fouiller mon appart. En cours de route, je leur fait remarquer qu’il font le boulot d’une police politique et leur demande ce qui peut bien motiver une perquisition si ce n’est la recherche d’éléments sur mon appartenance politique, éléments qui intéresseraient bien la DCRI ou la SDIG, mais n’ont pas grand chose à faire dans une enquête sur des « dégradations légères ». Ils me répondent qu’ils sont à la recherche « d’éléments préparatoires » (en gros, d’indices permettant d’attester que les inscriptions auraient été préparées chez moi). Quand je leur demande quels types d’éléments peuvent être pris en considération, le silence me répond, éloquent. Mais au demeurant, l’équipe de flics qui m’accompagne est bien sympa. Trop à mon goût.

Ils sonnent, réveillent ma copine qui ne s’y attendait pas trop (elle dormait). Ils font intrusion dans notre appart avec leurs grosses godasses et commencent à fouiller le salon après m’avoir permis de faire un brin de toilette. Tout les intéresse. Ils ouvrent toutes les boites, portes, tiroirs, s’étonnant du rangement. L’un d’eux s’arrête sur le bouquin « La force de l’ordre » de Didier Fassin, tandis qu’un autre prend des photos d’affiches politiques sur mes murs. Autant dire qu’ils sont satisfaits de trouver sur la table des tracts et affiches en rapport avec la ZAD : sans doute les éléments préparatoires qu’ils cherchaient. Ils en profitent pour prendre des documents personnels permettant de retracer mon parcours politique et l’ensemble de mon matériel informatique (trois pc contenant 4 disques durs, plus 2 disques durs externes, plusieurs clés USB, un camescope...). Puis, alors que je crois la perquisition terminée, ils partent fouiller le véhicule d’une copine dont j’avais emprunté la clé et qui avait été localisée par l’un de leur collègue la veille (si ça ce n’est pas de l’espionnage digne d’une police politique !). Dans le coffre, ils trouvent deux bombes de peinture blanche et jaune et un flacon de peinture rouge : d’autres « éléments préparatoires ». Ils prennent la voiture en photo et on s’en retourne boulevard Bourdon. Autant dire que la gardienne de l’immeuble n’était pas du tout étonnée de me voir passer menotté et entouré de quatre flics.

Arrestation + 38 heures : avec les flics informaticiens de la BEFTI

Après la pause de midi et alors qu’on s’assoupit dans les cellules, on me fait monter au troisième étage du commissariat, où deux flics de la Brigade d’Enquête sur les Fraudes aux Technologie de l’Information (BEFTI) sont venus en renfort du SIT. Là, tout le matériel informatique saisi dans nos appartement est passé au crible à l’aide du logiciel EnCase Forensic for Law Enforcementet d’appareils de blocage en écriture. Tous les fichiers, y compris préalablement supprimés, sont extraits et analysés à partir de mots clés en rapport avec les faits de dégradation : « parti socialiste », « zad »... Toutes nos photographies et documents personnels passent sous les yeux des techniciens-flics, qui démontent et analysent nos ordinateurs pendant plusieurs heures. Ce qui les intéresse est gravé sur un CD rom et ajouté aux scellés.

Arrestation + 40 heures : ultime audition

La dernière audition porte sur les faits commis à l’encontre des différents locaux du PS au cours du dernier mois. On nous demande de commenter. On n’a évidemment rien à dire, puisqu’on n’y était pas. Et puis Jérôme, le flic qui m’interroge et fait preuve d’une évidente sympathie pour nous (mais sert quand même le pouvoir), tente d’en savoir plus sur mes idées politiques, feignant la discussion informelle « hors audition ». Il tente quelques incises, parlant d’acratie (absence de pouvoir), d’anomie (absence de règles), d’anarchisme de droite, citant Kropotkine et un poète anarchiste, attendant de moi que je donne mon avis. Mais hélas pour lui, le contexte n’invite pas à la discussion. Je n’ai rien à déclarer. Derrière le gars sympa (et semblant sincère) se cache un flic, ne jamais l’oublier.

Arrestation + 44 heures : fin de la GAV et transfert au dépôt du Palais de Justice

Vers 20 heures on nous notifie la fin de notre garde-à-vue et notre transfert dans les quatre heures vers le dépôt du Palais de Justice de la Cité. On nous dit que notre matériel informatique nous sera rendu dans les trois jours, excepté les peintures, quelques documents et nos portables, qui restent sous scellé (un service spécialisé sera chargé de déterminer où étaient nos portables les soirs des 28 et 31 octobre, 1er, 4, 7 et 10 novembre).

Alors que nous dormons, vers 1 heure du matin une équipe de flics de la police de proximité vient nous chercher pour nous amener à Cité. Dans le fourgon, l’une des flique fait par à sa collègue de sa déception d’être avec nous au lieu d’intervenir sur une bagarre, exprimant son envie de « cogner sur quelqu’un » : la finesse des équipes de nuit...

Peu après, nous sommes placés en cellule dans le dépôt du Palais de Justice, une grosse prison avec plus d’une soixantaine de cellules alignées sur deux étages, avec des coursives comme à Fresnes. Tout est clean depuis que le dépôt a été rénové en 2010 et après que le Conseil de l’Ordre des avocats avait dénoncé son insalubrité en 2009. Mais l’endroit reste affreusement glauque.

Arrestation + 57 heures : transfert vers la cage des déférés

Après avoir été réveillé dans la nuit pour une nouvelle tentative de prélèvement biologique, nous sommes réveillé vers 9 heures du matin pour être emmenés un par un avec un quinzaine d’autres personnes à travers la « souricière » (couloirs souterrains ressemblant à la ligne Maginot) jusqu’au Palais de Justice, menottés et accompagnés chacun d’un gendarme. Placés ensuite dans une cage collective sous la bonne garde d’un groupe de gendarmes, nous attendons un entretien avec l’assistance sociale censée établir nos garanties de représentation (si nous sommes socialement intégrés), puis avec notre avocat et enfin avec le procureur qui doit décider de notre sort.

Arrestation + 62 heures : passage devant le procureur et remise en liberté

Peu avant quinze heures, on passe devant ledit procureur après avoir poireauté près de cinq heures dans la cage des déférés (autant dire qu’on a eu le temps de faire connaissance avec tous nos compagnons d’infortune : escrocs, bagarreur/euses, utilisateur/trices de faux papiers). L’entrevue avec le procureur dure cinq minutes, juste le temps de se voir remettre une convocation en justice pour le 16 janvier 2013 à 9h00 devant la 24ème chambre du TGI et une fiche de sortie du dépôt.

Retour au dépôt, remise de nos fouilles. On peut enfin sortir, après 62 heures enfermés pour des dégradations légères !! Précisons qu’entre temps l’inculpation pour outrage a disparu des chefs d’inculpation et que le tribunal ne semble pas retenir (pour l’instant) les faits commis sur les autres permanence PS au cours du mois passé. Heureux de savoir que l’ensemble de mes données personnelles sont passées entre les mains des flics...pour rien !

Que cherchaient vraiment les flics du SIT ? En quoi l’accumulation d’éléments relatifs à nos appartenances politiques et une perquisition à notre domicile permettent-elles de déterminer notre participation à des dégradations ?

Ça suinte le procès de mauvaises intentions...

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