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Sur la distinction fine du faucon et faucille

samedi 1er décembre 2012

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témoignage publié ici. Douglas habite à Nantes et soutient activement la lutte contre l’aéroport.

http://velofou.blogspot.fr/2012/11/sur-la-distinction-fine-du-faucon-et.html

Sur la distinction fine du faucon et faucille

J’aime beaucoup habiter en France. J’y adopte l’attitude d’un anthropologue curieux qui examine et s’émerveille des codes cachés des autochtones ; une aide remarquable à la santé mentale. Quand les choses ne se passent pas comme je le désir, je me détends et me satisfais en notant les différences dans nos points de vue. La culture est, au bout de compte, juste une convenance de folies partagées. Vive la différence ! Mais cette attitude décontractée se raidit un peu quand je réfléchis à l’enjeu de l’aéroport proposé à Notre-Dame des Landes, près de Nantes. A récapituler : il y a déjà un aéroport, récemment primé, à 8 km au sud-ouest de la ville (et à 500 m du terminus du tramway). Actuellement servant 3 millions de voyageurs par an, il est loin de sa capacité maximale, estimée à 7 millions de voyageurs par an. Airbus, qui a une usine de fabrication à côté de l’aéroport existant (qui emploie 2000 salariés), utilise la piste d’atterrissage existante pour livraisons et déclare qu’il n’a aucun désir de déménager. L’étude prétendue "d’utilité publique", nécessaire pour le rachat des terres et propriétés est invalide. Le tram-train destiné à l’aéroport de Nantes était pris comme bénéfice du projet, tandis que son coût était omis, selon l’étude indépendante du cabinet CE Delft en 2011. Le FMI a estimé que le prix du pétrole va doubler dans les prochains dix ans. Le prix du kérosène représente 34 % du prix d’un billet d’avion. Les déplacements aériens Low Cost appartiendront bientôt au passé. Certaines industries aériennes, qui tablent sur une augmentation du trafic, sont dans le mensonge... Les voyages aériens, et particulièrement les courts courriers émettent vingt-neuf fois plus de dioxyde de carbone par kilomètre que l’équivalent ferroviaire. Le trajet Nantes-London, en TGV, prend moins de 5 heures. Pour les longs courriers, le TGV direct de Nantes vers Charles De Gaulle est déjà à votre disposition. L’accord avec la société multinationale dote Vinci de 250 millions d’euro de subvention publique, et puis donne le droit exclusif à opérer l’aéroport pour 55 ans : le partenariat privé-public le plus veule imaginable. Alors que les grands médias ici voulaient présenter les opposants à l’aéroport comme anarchistes violents et écolos naïfs, l’opposition se base en réalité sur des réflexions raisonnables qui prennent en compte toutes les facettes de l’enjeu. Bref : nous ne voulons pas acheter un éléphant blanc, alors qu’un coin de France plutôt vert et agréable est complètement détruit. Les arguments environnementaux contre l’aéroport sont déjà bien étayés. En particulier, on doit noter que les zones humides de Notre-Dame des Landes approvisionnent la nappe phréatique dont tous les Nantais dépendent pour boire et se baigner. Que l’étude de cet enjeu essentiel soit truqué pour donner la réponse correct (pour les gouvernants actuels) est complètement méprisable. On voit régulièrement un gouvernement local proposant des mesures qui heurtent le bon sens ; c’est évidemment le cas pour ce projet monstrueux. Il est nécessaire d’examiner derrière les positions publiques de tout acteur, et de faire l’analyse des raisons véritables de leurs actes. Le gouvernement local est tout concerné par la maximisation de la valeur de l’immobilier. Le vent dominant à Nantes souffle de l’ouest, donc les vols qui atterrissent à l’aéroport actuel à Bougenais passent normalement au-dessus du centre-sud de Nantes. Les niveaux de bruit sous ces trajectoires de vol sont tels que le développement dans ces zones est inhibé. Comme tout enfant éduqué devant la télé par Scooby-Doo le sait, les promoteurs immobiliers sont la source de n’importe quel phénomène surnaturel. C’est probablement le cas ici aussi. Sans doute, les enveloppes bien garnies ont déjà transitées à l’occasion du changement d’aménagement du territoire, aussi bien au sud de Nantes qu’à Notre-Dame des Landes. Si j’étais un opposant à l’aéroport, je ferais une petite enquête "cui bono ?" avec les transactions cadastrales et les fortunes de familles des acteurs impliqués. J’avais aussi entendu parler de théories variées sur la taille colossale de l’aéroport proposé, qu’il est conçu en secret comme un parking gigantesque pour avions dans le cas d’une crise globale. Cela paraît plutôt loin de la réalité : il y a beaucoup de lieux plus sec et plus chaud que Nantes en hiver pour stocker les technologies rouillantes. Ni d’accord pour l’idée qu’il y a besoin militaire essentiel de construire Bagram 2 aux nord de la Loire pour dominer le nord-ouest de la France. Les avions s’en foutent, des rivières ! Pour la pertinence de l’argument de "sécurité" de la ville—que les vols qui passent au-dessus de la ville de Nantes présentent un risque pour le public—un argument incroyablement utilisé par les promoteurs de l’aéroport ici comme un élément sérieux de leur propaganda ; bon, c’est ridicule. L’industrie aérienne est justement fière de son bilan de sécurité : sécurité nécessaire, parce que personne n’achèterait de billets si les désastres aériens étaient fréquents. En tant qu’ancien habitant de Londres, au-dessus de laquelle un avion destiné à Heathrow passe toutes les 60 secondes, de 6 h à 23 h, tous les jours de la semaine, je trouve ça pitoyable. S’il est vrai que les contrôleurs aérien sont commandés à diriger les vols sur le centre ville afin de renforcer l’argument pour le nouvel aéroport, je ne sais pas. Si tel est le cas, c’est au-delà de toute raison. Bien sûr, les pilotes ne sont pas d’accord que l’aéroport actuel est dangereux. Les arguments pour la création des emplois sont aussi faux : les emplois qui existent dans la région sont déjà existants. Leur transfert à travers la ville n’augmentera pas leur nombre : ça nécessiterait une augmentation du trafic aérien, et comme nous avons déjà compris, la croissance du passé ne peut pas continuer. Emplois même peut-être perdus si Airbus décide de couper ses pertes et consolider ses opérations ailleurs, à Toulouse ou St. Nazaire. Si l’on veut dépenser une subvention publique d’un demi-milliard d’euros dans les industries de construction, mettons-la sur l’amélioration de l’efficacité énergétique des foyers et entreprises, vecteur de beaucoup plus d’emplois, pour le bénéfice de tous dans l’avenir. Il est vrai que l’agriculture laitière représente le marasme de la politique agricole, le nadir de l’imagination de la production de nourriture. Néanmoins, c’est une tradition immémoriale dans ce coin, et je suis le dernier à demander une réduction dans ma part de fromage français. Mais une surabondance laitière appelle à un soutien aux producteurs imaginatifs, plutôt qu’à l’épandage de 2000 hectares de nouveau béton. Les occupants de Notre-Dame des Landes ont déjà montré la voie sur cet enjeu avec un minimum d’investissement. Imaginez le paysage beau et diversifié possible avec la moindre miette de l’argent actuellement versé à Vinci. J’ai quelque compassion pour les pauvres policiers chargés du sale boulot de l’éviction des occupants, bras armés des intérêts corporates corrompus déjà soulignés. Ils doivent examiner leur conscience. Les servants honorables de la loi et de l’ordre dans la république doivent sûrement être persuadés que la justice a été faite d’une manière rationnelle et impartiale, dans l’intérêt du peuple : comment pourraient-ils jouer leur rôle, après le moindre examen des enjeux, je ne sais pas. Un appel à leurs collègues anti-corruption ne serait-il pas utile ?

Notes : Je rémercie beaucoup Olivier Tempéreau pour sa relecture de cette traduction. Néanmoins toute faut reste la mienne. V.O. en anglais ici : http://velofou.blogspot.fr/2012/11/sur-la-distinction-fine-du-faucon-et.html

Sa titre référence le vers immortel de Hamlet : "I am but mad north-north-west : when the wind is southerly I know a hawk from a handsaw." (II,ii)