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Malheur à vous !

mardi 18 décembre 2012

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Hier, dans l’obscurité, des flambaux sont sortis du bois, des mannequins sur des pics ont été brulés et des incantations ont été dites.
Une tentative comme une autre de nous libérer de la présence policière, de cette occupation militaire qui duuuuuuuuure maintenant depuis plusieurs semaines. Jours et nuit, à 3 ou à 160, les flics sont là, juste pour dire qu ils sont là, même si le gardiennage de carrefour n’ a jamais fait aucun sens.
Hier, après que la cérémonmie vaudou ait pris fin, quelques personnes sont arrivées sur la route et ont pris le relai afin de continuer à emmerder les flics, à leur dire qu’ils devraient vraiment, vraiment partir. Les affrontements ont duré jusqu’à très tard dans la nuit, jusqu’à ce que de très loin meme, on entende des tirs de grenades assourdissantes, plusieurs dizaines d’affilé, encore quelques dizaines de trop. Hier, dans le nuage de gaz lacrymos, quelqu’un a été grièvement blessé au pied par une grenade assourdissante, et a été hospitalisé, avec un risque d’amputation de son orteil.

Alors, Cesar, jusqu’où es-tu prêt à mener ton carnage et jusqu’ où les démons de la nuit devront-ils aller pour t’arracher ton ego ?

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La nuit nous appartient.

Autre texte reçu à propos de cette soirée

Le rayon noir (récit de la soirée du dimanche 16 décembre 2012)

« L’or brûlant de la grande obole inondait la voûte du ciel, Le scorpion et la hyène avançaient en aveugles boiteux, Le sable suintait de larmes fumantes, Et la tempête à l’horizon paraissait soulever une meute chevauchant vers la cité maudite. » La Blessure du désert, Al Morzad’Him Molat, XVe s.

La nuit s’était écroulée depuis longtemps sur les cieux alentours lorsque notre cortège macabre s’ébranla en direction du Moulin de Rohanne. Nous étions une centaine, peut être plus, bardés de fer, de feu et d’ossements, de toute manière incalculable dans notre folie. Ce qui nous animait alors ressemblait à d’antiques superstitions, à de vieilles sorcelleries qu’on a jugé désuètes. Désuètes aussi une certaine idée de la commuanuté et de tous les rituels qui faisaient sa chair. Nous ne sommes pas nostalgiques de ces temps où la réalité grouillait d’irrationalités. Cependant, si il arrive que la multiplicité qui hante la boue du bocage en vienne parfois à faire communauté, et qu’à ce moment là, ce qui fait communauté, entretient un certain rapport avec la guerre : il se peut que nous puissions tirer quelque puissance de ces comédies magiques. Et d’abord il faut abolir certaines catégories qui grèvent encore l’appréciation de nos gestes. A savoir par exemple la distinction entre des faits prétendument symboliques et des faits prétendument guerriers. Il ne devrait y avoir qu’un continuum liant nos attaques, nos voix, nos présences, et qui serait en toute chose la mesure de notre effectivité. On peut être effectif, c’est à dire perforant, tantôt grâce à un texte, tantôt grâce à une embuscade. Ce qui tisse ensemble ces gestes peut se nommer "enchantement". Comprenons-nous bien : nous entendons en matière de magie être aussi rigoureux que n’importe quel apparatchik léniniste en son temps.

La procession s’étendit dans un bruissement continu de pas et de murmures, sur le chemin de suez, puis dans la forêt et enfin tout le long de la lisière du dernier champ. Se distendant, se regoupant, s’ébrouant dans une sorte d’angoisse impatiente. Le ciel crevait d’étoiles et nos immenses torches encore éteintes ressemblaient à des piques vengeresses. Malgré ses obscènes lumières, l’ennemi n’entendit point la rumeur monter. La terreur l’abattit une première fois lorsque notre armée de flambeaux envahit littéralement l’espace qui lui faisait face. Quatre effigies de paille, plantées sur des pieux de bois, furent immolées en guise d’ultime menace. Formant un arc de cercle, la rumeur se fit tonnerre. Des hurlements stridents ou gutturaux, résonnaient, lourdement rythmés : "Ma-lheur à vous ! Ma-lheur à vous ! Ma-lheur à vous !" Après un court silence, l’incantation s’éleva, toute de rugissements et de psalmodies :

« Nous ne sommes ni humains, ni animaux, pas même vivants ou morts, pas encore spectres, déjà disparus pour le monde.

Pourtant, nous habitons les landes brûlées, les forêts fangeuses, les roches croissantes, nous habitons, ou plutôt, nous rodons, invectivant l’invisible, dépouillant vos momies, tous les déserts ont connu nos débauches corrosives.

Notre existence n’est attestée par aucun calendrier, auncun Empire ne pouvait soupçonner la résurrection de notre pacte scandaleux, Le feu de la bataille a précipité notre naissance. Nous ne sommes pas une armée, nous sommes la lie du monde qui se fait projectile, Aguerris aux fouets de la vengeance, Chaque coup que vous portez précise cette certitude : Votre défaite ressemblera pour nous à un sanglant Festin. »

Une énergie débordante affleurait partout autour de nous, une énergie guerrière aussi surgissant malgré le rituel, couvant en lui. Les bois nous rappelaient, mais dans le même temps nous ne pouvions résister au vertige qui nous inclinait en direction de l’ennemi. Nous nous approchions toujours plus dans une mêlée de bruits qui ne voulait plus cesser. Un second groupe s’était formé sur la route partant au nord. Se mêlant aux imprécations et aux feux d’artifices, on vit s’envoler quelques bouteilles incendiaires. Ce fut progressivement une autre ambiance, plus familière, qui s’installa ; certains la retrouvaient avec une joie identique. Les projectiles se multipliaient, les insultes commençaient à fuser. En face, des panaches irritants cisaillés dans la lumière vomit par leurs projecteurs, parfois, des tirs tendus. Des ombres assaillaient de toute part l’imbécile grappe de gendarmes. Puis, après une inaudible sommation, une salve de grenades couvrit le chemin et le champ. Un cri plaintif appelant au secours. Un pied déchiqueté au travers d’une botte. Une orteil risquant d’ être amputé, un nerf atteint, des os concassés.

Il s’agit d’une guerre. Nous la désirons. Mais nous décidons d’être toujours plus préparés et liés pour se mesurer à l’agressivité qui nous fait face. Il est temps de faire définitivement corps avec l’obscurité, de stagner toujours moins sous les projecteurs, de réapprendre l’ubiquité. Nous attaquerons après le crépuscule ou au beau milieu de la journée, lorsque le soleil du zénith plombe la terre de son rayon noir, et que l’opacité contamine jusqu’à la lumière.

Il est temps de faire corps avec la nuit.

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