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Histoire d’un accordéon sur la zad

mardi 18 décembre 2012

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En mars dernier, mon oncle Michel est décédé des suites d’une longue maladie, comme on dit ; c’était un chic type : avant de mourir, il avait exprimé le désir de me léguer son accordéon, qui l’accompagnait depuis bien longtemps, et souhaité que je joue le jour de ses funérailles une valse qu’il appréciait particulièrement.

Quelques mois plus tard, j’ai fait la rencontre importante de quatre zadistes, dont un accordéoniste : G. Le 17 novembre, au soir de la manifestation qui avait réuni 40000 personnes, je me promenais sur le chemin de Suez, décidé à lui offrir l’instrument (non sans m’être au préalable longuement questionné sur la signification d’un tel don, sur le fait de me séparer d’un objet d’une grande valeur émotionnelle pour moi, ma cousine (la fille de Michel), et en vérité, toute une partie de la famille) ; or, je ne parvenais pas à retrouver mon ami.

Soudain, en pleine nuit, un gars est arrivé de nulle part, et m’a pris l’accordéon des bras pour aussitôt se mettre à jouer la fameuse valse que j’interprétais quelques temps plus tôt aux obsèques. J’y vis une belle coïncidence cohérente qui mit aussitôt fin à mes questionnements : Michel, de quelque coin de l’univers qu’il était semblait vouloir contribuer à la lutte !

Il m’a fallu attendre le lendemain pour croiser G. et lui faire ce beau cadeau.

Ainsi, lui et d’autres ont pu faire revivre l’accordéon dans les cabanes, sur les barricades dans la forêt, sur l’étang, faire danser, chanter, etc…

Peu de temps, malheureusement : lors d’un affrontement sur une barricade la semaine dernière, le copain qui en jouait à ce moment a été contraint d’abandonner l’instrument pour fuir au plus vite la violence policière. Après l’assaut, les gendarmes ont reflué, laissant derrière eux un nuage de gaz lacrymogène ; l’accordéon, lui, avait disparu.

Comment expliquer ce fait ?

Un gendarme mobile, en bon papa, souhaite peut être l’offrir à son enfant pour Noel ?

Ou bien cet objet ultra dangereux de 3 kg est-il considéré comme un potentiel projectile ?

A moins que la musique ne fasse peur ? Il est vrai que le message et la joie qu’elle contient motivent, égayent et réchauffent les zadistes ; elle fait danser aussi, et véhicule l’image humaine et sensible de la lutte. Samedi 24 novembre les flics ont gazé, tiré au flashball, balancé des grenades assourdissantes sur un groupe de danseurs ! Auraient-ils désormais pour consigne de voler les instruments de musique ?

Que la créativité s’exprime sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes est d’une importance vitale : elle est une force précieuse, agissante, et le pouvoir en a peur. Les chefs, les sous-chefs, les quart-de-chefs ont déjà perdu mais ne le savent pas encore, alors pour le plaisir de le leur signifier, je, tu, elles, nous continuerons à nous mobiliser, et à jouer aussi, écrire, chanter, construire, danser, peindre…

Car l’art c’est la vie. Et la vie ce n’est pas cet aéroport.