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Des policiers déguisés en pacifistes ? [Une réponse à "La non-violence est un sport de combat...]

vendredi 28 novembre 2014

Des policiers déguisés en pacifistes ?

Alors que la répression des manifestations bat son plein, alors que les médias s’acharnent comme à l’accoutumée à opposer les catégories de « casseur » et de « non-violent » pour diviser les luttes, un appel à constituer des « blanc-blocs » (« La non-violence est un sport de combat ») a été diffusé à Nantes peu avant la manifestation du 22 novembre. Il s’agit de constituer des « blanc-blocs », « nombreux, bien visibles et identifiables, agissant fermement dans le respect de l’intégrité des personnes », et qui se donneraient pourmission de « repérer, photographier et filmer » les« policiers déguisés en black-blocs ».Àla manifestation de Nantes un « blanc-bloc » était visible, heureusement fort réduit en nombre et inefficace. Cependant, il nous paraît important et nécessaire d’apporter une réponse à leur appel, que nous jugeons nauséabond, dangereux et inquiétant.

Dans leur préambule, les auteurs semblent pourtant prendre la mesure de la situation, en rappelant que c’est « la police qui tue », et en niant la validité du débat « violence/non-violence » qui « divise artificiellement les luttes ». Mais aussitôt ils sombrent dans la figure désormais classique du « policier déguisé en black-bloc », sans le moins du monde reculer devant la contradiction avec ce qu’ils venaient pourtant d’affirmer. Cette thèse complotiste, à laquelle seuls Besancenot ou Mélenchon croient, n’a pour conséquence que précisément, de diviser et affaiblir les luttes, en créant une sorte d’« auto-répression » préventive, en forçant chacun à se méfier de son voisin. Qui n’a pas en mémoire la redoutable efficacité qu’eut, à cet égard, l’emploi à outrance de cette thèse grotesque lors du mouvement contre les retraites, en 2011 ? En somme, si nous cédions à notre tour au complotisme, nous affirmerions sans ambages que cet appel est lancé par des policiers déguisés en pacifistes.

On nous présente les « deux craintes » des manifestants potentiels, qui seraient : d’être « assimilés aux casseurs » (individuellement), et de « s’exposer aux violences » que ceux-ci susciteraient. Les auteurs du texte s’appuient ainsi de tout leur poids, toute honte bue, sur la figure du « casseur » qu’ils niaient deux lignes plus haut, et affirment, dans un renversement scandaleux, que ce sont ceux-ci qui génèrent la violence de la police. Or, et l’ignorer relève au mieux de la naïveté, au pire de l’aveuglement, la police n’a jamais distingué, ne distingue pas, et ne distinguera jamais les supposés« casseurs » des supposés « pacifistes ». Les dizaines de blessés de Notre-Dame-des-Landes ou de Nantes devraient pourtant suffire à le rappeler. Mettre ainsi sur le même plan la violence des manifestants et celle de la police revient à justifier cette dernière. Les auteurs affirmaient pourtant, juste avant, que « les policiers et les gendarmes sont sur-armés,avec des armes qui tuent, face à des personnes armées le plus souvent de leur seul courage, et [il] n’est pas question de renvoyer dos à dos les deux « violences ». »

« La non-violence est un outil pour les luttes », dit-on ensuite. Bien sûr ! Et aucun supposé « casseur » n’a jamais empêché un supposé « non-violent » d’être « non-violent », alors que ce texte se propose précisément de faire l’inverse, ce que par ailleurs on observe régulièrement. On se souvient de cordons de manifestants« pacifistes » protégeant les vitrines de tel MacDonalds, voire s’attaquant physiquement à des « violents ». Un service d’ordre est difficilement « non-violent ». Pourtant,et c’est bien l’essentiel à avoir en tête dans la difficile période actuelle, il y a bien une « complémentarité des formes de luttes ». Les auteurs du texte semblent en avoir conscience, qui rappellent justement les expulsions de la ZAD de l’automne 2012, et la formidable solidarité qui les caractérisaient. Loin de nous d’exiger que chaque manifestation, chaque action, soit l’occasion de s’affronter avec les forces répressives (en réalité, le choix appartient plutôt à ces dernières). Il y a bien des manières d’exprimer des rapports de force et de solidarité, et la tentative qui est faite ici de n’en valider qu’une (la « non-violence »)nous paraît idiote, dangereuse et menaçante.

Ils se proposent de se vêtir en blanc, la « couleur de la paix ». Cette question de la paix n’est pas anodine. La paix, c’est la fin de la lutte, c’est le retour à la normale. La paix, ça voudrait dire que la lutte est finie, ou inutile, que la situation convient et qu’il faut qu’elle perdure. La paix, en l’occurrence, est réactionnaire. La paix, c’est toujours un vainqueur et un vaincu. À nous d’estimer si nous serions l’un ou l’autre. Tout cela est effectivement problématique. Mais lorsqu’on en arrive aux propositions d’actions que se donnent les « blanc-blocs », le sang se glace dans les veines. Des sit-ins, des flash-mobs, passe encore, mais il faut garder à l’esprit que la répression violente s’abat sans distinction, et que les sit-ins, les actions « suicidaires » comme de s’enterrer jusqu’au cou pour prendre un exemple récent, n’ont jamais protégé de la matraque, bien au contraire. Flash-mob contre flash-ball, la partie ne semble pas équitable. Mais il est surtout question de « s’affirmer en témoins », de« photographier », de « filmer » les« personnes violentes », et de diffuser les images sur les « réseaux sociaux ». Quelles qu’en puissent être les justifications, de telles pratiques ne sont rien d’autres que despratiques de pure délation. Des dizaines de personnes sontaujourd’hui entre les mains de la justice uniquement par la faute de« citoyens » ou de « témoins » qui ont diffusé des images effectivement compromettantes. Nous croyionsnaïvement que la lutte contre l’aéroport de Notre-Dames-des-Landesavait dépassé cette question, en se donnant les moyens (automédiapar exemple) de ne pas s’exposer à de tels dangers. On ne peut pas fustiger les médias et les forces répressives et avoir rigoureusement les mêmes pratiques ! Le rôle du « blanc-bloc »n’est en définitive pas autre chose qu’un rôle de flic bénévole.Onpassera sur les « actes stupides ou contre-productifs, comme les atteintes à des structures de transport en commun ». Ons’étonnera seulement de cette notion de « contre-productivité »,qui semble assigner à certaines composantes de la lutteexclusivement la légitimité de définir ce qui est productif et cequi ne l’est pas. Ces considérations stratégiques puent. Parailleurs, la lutte est, pour beaucoup, un moment où précisément onne produit pas, un moment où l’on n’a pas à être « productif ».

Enfin,les auteurs se proposent « d’isoler les personnes violentes pour les éloigner des affrontements ». Il s’agit doncexplicitement d’une menace. Toute « non-violence »semble avoir disparu, à ce stade, et l’on n’a plus affaire qu’à desadjoints volontaires des forces répressives, prêts à se mettrephysiquement en jeu dans leur mission d’assistance à la police.Chaque préfet rêve d’une telle situation, et l’on voit d’ici lesflics se frotter les mains en regardant les manifestants se battreentre eux. Cette menace est sérieuse. Elle sera traitée commetelle.

Enguise de conclusion, nous citerons quelques paragraphes d’un textecirculant en ce moment, intitulé « Police partout !Assemblées itou ? »(iaata.info/St-Girons-Communiqué-de-l.html) : « Considérer qu’il est « violent » de casser une vitrineou de jeter une motte de terre sur des militaires revient à vider cemot de son sens. Ces pratiques qualifiées de violentes ont existéde tous temps et coexistent avec beaucoup d’autres. Beaucoup demanifestant.es passent des unes aux autres. Une manifestation n’estpas un « cortège discipliné et pacifique ». Si unemanifestation ne porte pas en elle de menace de désordre, quelrapport de force peut-elle créer ?Àl’heure où les vendeurs de solutions politiques dénoncent le faitmême de se protéger de la police, la seule forme de violencetolérée devient celle exercée contre soi-même. Faire des grèvesde la faim, se coucher devant des bulldozers, s’enterrer ou sedénuder à la merci de la violence étatique, n’est pas, pour nous,relever la tête face à la destruction organisée de nos vies. Nousrefusons de nous soumettre au culte du martyr, à l’image choc quiferait basculer l’opinion publique. »

La vocation de ce texte n’est pas de renforcer la tentative de divisionque constitue pour nous la formation de « blanc-blocs »,mais au contraire de rappeler qu’il est plus important que jamais defaire exister réellement la complémentarité des formes de luttes,et, plutôt que de s’affaiblir, de se renforcer mutuellement parl’établissement d’une confiance indispensable.

Le 26 novembre 2014,desparticipant.e.s aux manifestations du 22 novembre.