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Lettre aigrie aux électeur-ice-s du "Oui"

mardi 28 juin 2016

Lettre aigrie aux électeurs du « oui »

ça fait longtemps que j’ai envie de vous écrire, vous : les électeurs du « oui ». Bien sûr, vous prenez et avez pris bien d’autres noms souvent -impossible de tous les citer ici - mais puisque aujourd’hui vous vous manifestez sous cette forme pour impacter ma vie, peut-être plus directement que d’habitude, je saisis l’occasion.

J’ai quand même hésité un moment avant d’écrire ce qui suit, je me disais : « Et si Alain [1] lit ça ? Il va voir que son petit militantisme de retraité du patronat a de vrais effets et ça va l’encourager ! Oh non ! Horreur ! »… C’est un effet indésirable auquel je me résous : « Tu vois Alain, la lutte paie, keep up the good job ! ». Mais suis-je bête, tu dois déjà l’avoir appris auprès de toutes les personnes en lutte que tu as exploité au cours de ta carrière de patron… Tu as bien résisté à ce que je vois, il te reste quand même un yacht et j’imagine, deux, trois broutilles en banque.

J’avoue, j’ai été naïf, j’ai cru un moment que « la majorité silencieuse » marionnette ventriloque préférée des politiques et des médias n’était qu’un leurre, qu’un fantôme, vide, sans consistance. Mais non, hier vous m’avez démenti. Vous lui avez donné corps. Oh vous savez ça ne vous déchoit pas pour autant de votre titre de marionnette… De celui de ventriloque à la limite… Comme les affiches électorales vous y enjoignait, vous avez obéi au mot d’ordre qui tapissaient tous les abribus de Nantes la semaine passée : « Ne restez pas sans voix ». Oui, vous aviez bien compris, vous aussi, que c’est à vous que cela s’adressait.

Les autres ont déjà donné de la voix au cours de ces dernières années et même dernières dizaines d’années. Elles et ils ont même joint le geste à la parole. Certain-e-s y consacrent carrément leur vie, sacrifient le reste. En connaissance de cause, certes. Elles et ils savent que le combat est inégal. Ils et elles savent le risque de voir plusieurs années voire plusieurs décennies de luttes et d’efforts aboutir à une amère défaite (je ne parle pas ici du résultat du vote, qui n’est le début ni la fin de rien). D’ailleurs, vous pourriez les remercier au passage, non ? Ce p’tit sondage démocratique auquel vous avez gentillement daigné participer pour nous faire part de votre importante opinion sur le sujet, c’est grâce à elles et eux qu’il existe. Pas de lutte anti-aéroport, pas de consultation.

Il fallait que je vous dise, je vous déteste. Vous qui pouvez au cours d’une balade du dimanche (plutôt ensoleillée en plus, non ?), faire pencher la balance d’une décision dont vous n’aurez jamais à subir les conséquences. Il paraît que les électeurs de Saint Nazaire ont voté « Oui » pensant au quart-d’heure qu’ils et elles gagneraient pour se rendre à l’aéroport (c’est en tout cas ce que les marionnettistes leur font dire) ...

Dîtes moi, en quoi votre sortie du dimanche devrait avoir plus de poids que 40 années de lutte acharnée ? Ah mais oui, c’est vrai, elle n’en a pas. Sauf peut-être dans vos esprits de citoyens bien-pensants. Et comme je vous crois fervents partisans de la méritocratie, vous conviendrez pourtant que, selon vos propres règles, la balance ne s’équilibre pas du simple fait de votre p’tite virée dominicale, n’est-ce pas ?

J’ai hésité, moi aussi, dans un élan de pragmatisme, à aller me dégourdir les jambes comme vous, puis j’ai renoncé, sentant que le prix à payer serait trop grand. J’ai repensé à ce qu’ils allaient en faire de mon bulletin de vote. Je sais que s’ils veulent nous faire parler, c’est dans un cadre bien défini par eux-mêmes et uniquement pour mieux nous faire taire par la suite. Je n’ai pas pu me résoudre à aller donner ma voix parce que je ne savais trop bien qui allait ensuite se charger de la faire parler, qui allait pouvoir l’utiliser à son profit, quel que soit le résultat. Je n’ai pas pu me dire que j’allais participer à légitimer cette grande opération qui n’aboutira toujours qu’à laisser les éternels mêmes puissants nous expliquer le fond de leur pensée qu’on connaît déjà par coeur et leur analyse à leur sauce de ce que les électeur-ice-s ont voulu dire. Je n’ai pas pu me dire que j’allais aller conforter cette croyance qui veut qu’une opinion laissée dans une urne a plus de valeur qu’un message laissé à la bombe de peinture sur les murs de cette ville que les services de nettoyage s’empressent d’effacer après chaque manif’.

Ce que j’ai voulu dire, je l’ai déjà dit, maintes fois et bien autrement qu’en une simple réponse binaire à une question binaire. « Nos vies nous appartiennent et nous prendrons les moyens de nous les ré-approprier », ça rentre dans votre urne ? Ça peut s’annuler du fait de votre urne ?

Je sais que vous savez ce qu’implique le résultat de votre petite promenade. Je pense aux prochaines expulsions, à la police, à leurs armes, à leur virilisme organisé et dangereux. Je pense à l’hélicoptère bleu de la gendarmerie qui ne va pas manquer de revenir et venir encore exercer ce qu’ils euphémisent joliment « effet psychologique » en tournoyant longuement à basse altitude au dessus de nos têtes. Je pense à qui autour de moi aura un œil crevé cette fois-ci, ou des éclats de grenades dans le corps ou une décharge électrique ou une petite clé de cou parce qu’iel refuse de descendre de son arbre. Qui va, peut-être, mourir ? Je ne peux en tout cas pas me dire que toutes les personnes qui me sont proches en sortiront indemnes, ne serait-ce que psychologiquement.

Vous allez peut-être penser que je dramatise un peu. Peut-être. Peut-être pas. Je crois surtout que si vous pensez ça c’est que vous êtes de ceux que la police protège. De ceux qui n’ont pas de bonnes raisons d’en avoir peur. Encore une fois, raser une maison, une cabane, un jardin, un bocage, une expulsion ce n’est pas comme faire ses valises pour partir aux sports d’hiver - j’essaie de prendre des exemples qui vous parlent, j’sais pas pourquoi j’ai comme un petit a priori qui me dit que vous ne faîtes pas partie de cette frange de la population qui ne peut pas partir en vacances.

Hey, petites marionnettes, votre avis ne sert qu’à ça. Les décideurs, Vinci et cie s’en foutent autant que moi , il n’est qu’une arme de plus pour eux, une caution qui sert à préparer le terrain. Légitimer le monopole de la violence, la répression qui vient. Et qui fera place à de bons taux de profits garantis pendant 55 ans.

Ne vous inquiètez pas pour moi (figure de style, je me doute un peu du mépris que avez pour ma petite personne et sa vie trépidante de parasite de votre société), je me réconforte en me disant que tant que 2000 flics sont occupés à détruire nos lieux de vie, de résistances, notre cher petit ghetto bocager, au moins, ils ne seront pas ailleurs. En espérant que le répit se fasse sentir pour tout-e-s les banlieusard-e-s, personnes non-blanches et musulmanes, migrant-e-s et autres pariah de la république. Celles et ceux qui mangent pour qui iels sont, pas seulement pour ce qu’iels choisissent de faire ou de ne pas faire. Celles et ceux pour qui la police a reçu le permis de tuer, de mutiler, d’humilier permanent. Et encore plus sous état-d’urgence.

J’avais oublié. Petite piqûre de rappel en ce dimanche 26 juin, soir. Ce monde ne s’écroule pas simplement parce que la police. Parce que l’armée. Et pas simplement parce que les médias aux mains des grands groupes industriels. Mais aussi parce que vous le soutenez… Et si ce n’était qu’au cours de vos excursions dominicales…

p.s. je m’adresse à vous au « vous » et non au « tu », ne croyez pas qu’il s’agisse d’une marque de respect, mais d’une distance de dégoût.

Un de ceux que vous appelez « zadiste ».

Notes

[1Alain Mustière, président de l’association patronale de soutien aux grands projets patronaux (dont l’aéroport)