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lundi 21 août 2017
On s’est retrouvé.e.s à base d’un rendez-vous dans le Zad News pour écrire ensemble des textes proches de nos vécus, diversifiés, pour partager ce qu’on vit et qui nous traverse au quotidien.
Ce matin, c’était plutôt une journée à tendance grasse mat’. Aussi parce que j’avais passé une bonne partie de la nuit à repenser aux dernières réunions du mouvement et d’habitant-e-s, sans trouver de solutions à la situation dans laquelle on se trouve : continuer à composer sans perdre son âme (en gros résumé). J’ai donc pris mon petit déj au soleil… pendant que mes co-habitant-e-s y finissaient leur repas du midi, ce qui m’a permis d’enchaîner les deux sans pause. Très bon début. On a en a profité pour s’échanger des infos sur ce qui se passe du côté de la frontière italienne parce que des potes reviennent de par là-bas : des histoires de contrôles, de flics, de préfectures qui refusent des dossiers… Monde de merde qui fait relativiser nos embrouilles locales. J’ai ensuite ouvert un colis que j’attendais depuis quelques temps déjà. Un livre qui se définit comme la « référence » de l’agriculture végétalienne (c’est-à-dire sans apport de matière animale : ni fumier ni dans les engrais). Le seul détail, c’est qu’il n’existe pour l’instant qu’en anglais : le prochain projet est donc de trouver du monde pour se lancer dans sa traduction.
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Ce matin, je me suis réveillée un peu tard. Parce qu’hier soir on a fait un tournoi de belote coinchée. Bon on a perdu, mais c’est pas grave, c’était chouette, une bonne occasion de passer du temps avec des personnes que je croise peu. Donc bref, je me lève pas très tôt, il fait beau après deux semaines de temps pourri, je me prépare un bon petit déjeuner et entre deux gorgées de tisane, un pote débarque. « Et dis, ça te dirait de parler un peu d’ici à des gens du Pays Basque qui viennent d’arriver… » Euh bin, oui, oui, dans l’idée pas de problème. « … et qui sont là, maintenant ? » Ah. Attends. Finir mon petit déj’, retrouver mon cerveau, parler de la ZAD. Et en quelle langue ? « Espagnol ! ». OK. En espagnol. Retrouver mon cerveau, parler de la ZAD en espagnol. Là je suis un peu dans le brouillard parce que j’ai pas assez dormi, mais j’aime bien accueillir des gens qui arrivent. Tu vois des personnes qui arrivent seules, en bande, qui ont fait 20 ou 2000 km pour venir passer du temps ici. Elles posent des questions super différentes, en écho à leur quotidien, leurs expériences, l’image qu’elles se font de la ZAD… Et ça permet, parfois, de belles rencontres. Ensuite, j’attrape mon vélo et file voir une copine. Je l’interromps en pleine réparation de la récolteuse à patates. Une grosse machine rouge délavé qui, d’après ce que j’ai compris, perd de l’huile en quantité non négligeable. L’objet de la discussion : essayer de trouver des moyens de désamorcer des tensions dont on suppose qu’elles vont monter monter monter et nous éclater à la gueule. L’éternel « bidule pense que machine a fait ceci parce que truc a dit que... », mis à l’échelle de la ZAD, avec tous les enjeux de pouvoir et les conflits qui y existent. Ce genre de discussion dont tu ne peux sortir qu’avec des missions supplémentaires, d’aller causer à d’autres personnes etc.
Après je suis rentrée chez moi, j’ai fait des câlins à mon chat, lui il avait plus envie de manger des croquettes que d’être dans mes bras. Moi aussi j’avais faim alors je me suis fait une salade avec… les premières tomates du jardin ! Miam miam !
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Ce matin, je me suis levé à… je ne sais pas quelle heure. Ça doit être vers 9 h. Le soleil était déjà derrière les arbres en face de la cabane, et les autres gens étaient déjà descendus du sleeping à la pièce en dessous. Je descends l’escalier. Je dis vite fait salut et je cours au champ de l’autre côté du chemin pour pisser. J’étire mes jambes, mes bras. L’herbe sent agréable en dessous de mes pieds nus. Entre la rosée, trois petites toiles d’araignées s’étalent. C’est joli. Et il y a déjà des fleurs qui réapparaissent après que le champ ait été fauché.
Je retourne à la cabane. La bouche sèche, je prépare une infusion sur la gazinière avec de la menthe séchée que je trouve. Silencieusement, je remercie celui qui a mis la menthe là-bas. Je ne sais pas où trouver cette plante fraîche dans le jardin, vu que ça fait que quelques semaines que je vis dans ce lieu collectif. Avant, j’étais chez les voisins quelques champs plus loin. Une des raisons pour lesquelles j’ai bougé ici était la tranquillité que respire ce lieu. Mais il y a aussi son ambiance joyeuse et respectueuse, créée par les nombreuses personnes de passage et par les personnes qui s’engagent depuis plus longtemps dans cet endroit ouvert.
Je lave et coupe les pêches de récup qui commençaient à moisir et les mets sur la table. Je commence une conversation avec une de mes cohabitantes, sur la manière particulière dans laquelle on accueille des gens ici, et puis sur les réunions de la zone. Étant sur zone que depuis quelque mois, chaque jour encore j’essaie de comprendre comment marche la prise de décision, pourquoi beaucoup de gens ne vont pas à la réu des habitants le jeudi où à l’assemblée générale du mouvement chaque mois, et comment les gens s’organisent aussi de manière affinitaire, quotidienne où ponctuelle.
D’autres gens arrivent dans la cabane. Ils se font un bol de muesli. Ça me fait envie, je mange aussi un peu, alors que je n’ai pas vraiment faim. Je pense à l’avoine qu’on avait fauchée à la main et qui est en train de sécher dans l’atelier derrière. On devrait en avoir une quantité beaucoup plus grande si on voulait être auto-suffisants là-dessus. Celle que je mange est de la biocoop. Un de nous parle des gens qui viennent de s’installer en caravane et cabane dans le champ avec le puits. Il leur avait dit qu’il ne pensait pas que c’était malin, que l’habitation risque de polluer l’eau. Quand même ces gens ont continué à construire là. Que faire ? Je dis que je peux aussi aller leur parler.
Après, je suis une des copines qui va me montrer sa cabane dans l’arbre. Elle m’avait proposé de dormir là-bas quelques nuits, puisque j’avais besoin d’être un peu de temps plus seule et éloignée de toutes les réunions et projets. C’est très facile sur zone d’être prise par ça. Toujours des trucs à faire, à résoudre… On traverse les champs, la route de chicanes, la forêt. Je me sens bien de marcher avec elle, elle a un pas qui me calme. Sa cabane est haute. J’hésite avant de grimper, mais je me sens rassurée par sa présence. Je prends le lierre et la première branche, et me trouve assez facilement en haut. Victoire !
Au retour, je passe le lieu de vie pas loin de l’arbre. Je préviens les habitants que s’ils entendent un cri un de ces jours, ça peut être moi, tombée du grand chêne. Viens me chercher ! Ils me proposent de venir manger là-bas ces prochains jours, si je veux. C’est gentil.
Revenue à la cabane de départ, je fais la vaisselle. Ça veut dire, je la nettoie avec de l’argile, et la rince. Là, je me souviens que mon matin avait déjà commencé plus tôt. Le soleil était presque visible au dessus du champ. Réveillée courtement juste à ce moment, je voyais de mon lit comment il colorait le ciel d’un rouge merveilleux.
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Ce matin je me suis réveillé tel un exilé. Je ne savais plus quelle était ma place ; celle que je souhaitais prendre, celle que l’on m’accorderai. J’ai arpenté la zone et mes pas m’ont guidé jusqu’à la Chèvrerie, un lieu accueillant, artistique et serein, un lieu où vibre une sensibilité presque palpable entre les êtres. J’y ai découvert une nouvelle zone, m’invitant à un nouveau voyage. J’y suis resté.
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Ce matin, je me suis levé trop tôt, parce que je m’étais couché trop tard : j’étais occupé à parler pendant des heures de la situation de la ZAD avec la médiation, comment faire quelque chose qui marche avec nos envies, nos analyses et nos temporalités parfois contradictoires. Vaste question, c’était passionnant d’en discuter… mais après il était déjà tard et je voulais quand même passer voir des vieux potes d’il y a des années de retour pour quelques jours sur la ZAD, alors je suis passé à pas d’heure honorer leur invitation, content de se raconter les histoires de nos vies et de nos potes d’ailleurs.
Mais fallait se lever, parce qu’on avait rendez-vous avec les camardes du groupe patates pour réparer des machines agricoles dont on aura besoin pour la récolte. C’est un groupe d’une demie-douzaine de personnes avec lequel on a pris en charge le suivi d’un champ de un hectare de patates. On va les mettre sur le non-marché, un moment de partage des produits de la ZAD à prix libre pour que tout le monde puisse manger quels que soient ses moyens, mais qu’il y ait toujours assez de sous dans la caisse collective pour continuer les cultures l’année prochaine. On espère en avoir assez tout l’hiver et si la récolte est bonne en filer à d’autres luttes. Bon tout ça à l’air formidable, mais confronté à la pratique, ben ce matin c’était plutôt chiant. Après mon petit déjeuner trop matinal pour croiser mes cohabitant⋅e⋅s, je commence par charger mes outils dans la voiture pour aller au chantier. Mais j’ai pas de forêt de 16, donc je passe à l’atelier collectif en emprunter un. Sauf qu’il est pas rangé à sa place, donc je galère mais finis par le trouver. Arrivée à notre lieu de rendez vous, on commence par atteler la machine au tracteur pour la mettre sous le hangar où on va faire les réparations, et j’explique aux autres, qui sont nouveaux dans le groupe cette année, comment elle marche et comment faire la manœuvre. Une fois la machine rangée, je laisse mes deux camarades démonter les pièces qu’il faut changer et je rejoins une autre camarade avec qui on doit finir de réparer le broyeur. On doit s’en servir cet après midi, mais un autre groupe de culture a cassé une roue il y a plus d’un mois, et n’a toujours pas fini de le réparer. Donc on s’en occupe avec d’autres qui en ont besoin urgemment, et forcément ça nous énerve un peu de réparer la casse des autres. D’autant plus qu’on trouve pas la perceuse que nos prédécesseurs sont censés nous avoir laissée, donc pendant que ma camarade lime une pièce pas droite, je commence un tour du quartier pour aller à la chasse à la perceuse. Je trouve assez vite chez des potes qu’en plus je suis content de revoir, chouette ! Donc on refait le trou manquant dans le métal, et on commence à mettre les boulons pour constater qu’un des trous fait par nos prédécesseurs n’est pas droit et qu’on a abîmé le boulon en essayant de le passer dedans en force… et en plus on sais pas dans quel sens était montée la roue. Bref, le désespoir me guettait, quand un camarade forgeron passe par là, et miracle, non seulement il a un plan pour remettre notre trou récalcitrant dans l’axe, mais en plus il était là au démontage de la roue et sait dans quel sens elle va ! Finalement, on va manger plus tranquilles des pâtes avec un reste de sauce aux protéines de soja et des tomates fraîches avec l’équipe qui était sur l’autre machine, et je laisse ma camarade avec un autre qui me remplacera pour l’après midi pendant que je vais au rendez-vous pour écrire ce texte.
Ma morale de cette matinée, c’est qu’on a des projets formidables, mais qu’au niveau de l’organisation collective, c’est une fois de plus pas le top. Comme disait l’autre, l’autogestion, c’est pas de la tarte !