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lundi 28 mai 2018
À vous mes camarades,
Je me sens d’écrire, surement trop tardivement (comme à mon habitude), parce que je trouve que ce que l’on se raconte entre nous n’a jamais été aussi flippant et que j’ai entendu des trucs qui paraissaient normaux pour les gen-tes qui les disaient et qui les entendaient, que jamais j’aurais pensé entendre sur la zone. Et pourtant, en 4 ans de vie quotidienne ici (bon d’accord au Haut Fay, on pourra me dire que ce n’est pas sur la zone mais je fais quand même régulièrement l’aller-retour…), j’en ai entendu des préjugés merdiques liés à une accumulation de ressentiments mutuels drapés dans de la belle théorie politique.
Je me considère (encore maintenant) comme un « non-aligné », les dynamiques de groupes affinitaires me font peur, je me suis toujours senti plus à l’aise en électron libre. J’ai toujours eu du mal avec la notion d’efficacité et j’ai un esprit rationnel limité avec une grosse tendance à être dans les nuages avec un manque de courage pour vaincre ma peur de m’exprimer en public (bref j’ai dû parler 2 fois en réunion depuis que j’habite ici).
Alors bon voila je décide d’aller au bureau des fifiches pour voir les « oligarques normalisateurs » à l’oeuvre pour poser des questions et là quand même je prends une grosse claque dans la gueule du fossé (de la galaxie) qui existe entre ce qui se passe vraiment là-dedans et les choses que j’entends à propos de ces gen-t-es sur la ZAD. En fait là je voie de la fragilité émotionnelle, aucun contrôle réel de la situation, ça rafistole, ça débat, ça s’engueule, des gen-tes partent et d’autres arrivent, et en fait je me dis que c’est exactement ce qui pourrait se passer entre les gen-tes d’une barricade sur la route. C’est l’ État qui veut faire croire à tout le monde qu’Il a un rapport d’égal à égal avec certaines personnes de la zone et j’ai arrêté depuis longtemps de croire à ce que l’État et les médias alignés veulent me faire gober. La seule possibilité pour tout-es les gen-tes de la zone c’est de batailler pour l’emmerder le plus possible pour l’empêcher de passer pour le plus démocratique possible alors qu’Il empêche toutes alternatives à l’oppression qu’Il exerce.
En fait, dans ce bureau, on est bien loin de discuter de la mise en place d’un Disneyland pour bobios ou d’une normalisation totale des activités mais juste de retarder le moment où les condés vont venir pour tout raser. J’ai l’impression que cet argument ne veut pas être entendu mais c’est pourtant ce que j’ai vécu en allant voir ce qui se passait là-bas. ( par ailleurs je trouve, mais c’est mon avis personnel, le texte de la semaine dernière écrit par des « agriculteur-ices en lutte contre les normes » très loin de la réalité pratique de la lutte pour garder la zone et que c’est beau la théorie mais c’est bien de se renseigner avant d’écrire autant sur un sujet) Les gen-tes qui ont fait le pari de l’auto-défense administrative savent que ce que l’État veut nous faire signer est dégueulasse et loin de ce que l’on veut continuer à vivre sur cette zone mais je comprends maintenant qu’illes aient envie de tenir cette barricade malgré tout en évitant de tomber dans les pièges que notre ennemi commun va nous tendre au fur et à mesure même si ça s’avère compliqué, en même temps on sait tou-tes que lutter c’est pas facile… Ça tente de contourner les clauses trop pourries, chercher des esquives et je voie là-dedans les mêmes mouvements à un stade intellectuel que ce qu’on peut observer à un stade physique autour d’une barricade sur la route ou autour d’un lieu de vie. Je trouve d’ailleurs que la division faite entre des gen-tes qui mettent leur corps en danger sur les barricades face aux gendarmes et d’autres qui se contenteraient de placer leurs billes dans les négociations complètement infondée, puisque des gen-tes qui ont fait ce pari se mangent AUSSI des grenades sur le terrain et ne font pas que de l’administratif…
Je crois que je commence à comprendre (je vous l’ai dit je suis un peu lent) que le pouvoir est une notion de nature mouvante et la question qu’il pose est plus complexe que de se poser en autoritaire/organisé-e pour gagner en puissance ou anti-autoritaire inclusif-ve . Quand je voie des tags tout pétés sur « saint-jean du traitre » (qui doivent bien faire marrer les keufs), quand j’entends des gen-tes dire qu’ils vont s’organiser pour dégager le « groupe autoritaire » de la ZAD, ou carrément brûler leurs maisons, y’a comme un bug dans mon cerveau… Pour moi la fin n’a JAMAIS justifié les moyens, et si les gen-tes ont besoin de se défouler, je crois qu’il y a assez de lieux de pouvoir réel et de trucs pourris en fRance à cramer…
En ce qui concerne le CMDO, de mon point de vue extérieur, j’avoue que, comme d’autres groupes affinitaires forts que j’ai pu croiser dans ma vie, il y a un truc clanique qui m’effraie. Mais je voie surtout que c’est des gen-tes qui sont pas tout le temps d’accord entre elle-ux, qui s’embrouillent, qui sont humain-es quoi, comme plein d’autres groupes de la ZAD. Il y a eu des trucs que je considère personnellement comme des erreurs de leur part et qui ont eu des conséquences merdiques qui auraient peut-être pu éviter avec un geste de reconnaissance que c’était dangereux de faire ça pour le sentiment d’être ensemble. Par contre je ne peux plus entendre les insultes, les appels à lynchage et la haine propagé-es contre ces gen-tes qu’on fantasme comme une armée uniforme prête à écraser tout le monde pour ses propres intérêts. Juste parce que du point de vue de mon expérience, c’est faux et encore plus dangereux et autoritaire que tout ce qu’illes ont pu faire. On est en train de créer un ennemi intérieur qui nous évitent de nous poser la question de notre propre responsabilité vis-à-vis de ce qu’est et devient la ZAD. Je trouve qu’obliger les gen-tes à ne pas agir est aussi autoritaire que de les forcer à faire un truc contre leur gré et que réclamer du respect et des « garanties » à des gen-tes à qui on ne renvoie que du mépris c’est un peu comme vouloir « pacifier » en usant de la répression : c’est logique que ça ne marche pas.
J’ai tendance à me dire, quand c’est le bordel dans ma tête (et c’est H24 7J/7 en ce moment) : « les condés n’ont qu’à venir tout péter et j’aurais pas le sentiment de m’être rabaissé face à un État colonisateur et oppresseur », mais j’ai l’impression que c’est la pensée de facilité pour m’empêcher de trop réfléchir pour savoir comment m’impliquer vraiment et que c’est pas comme ça qu’on arrache des bouts de liberté face au pouvoir. Et puis ce sera toujours facile de ma position de privilégié blanc fRançais parce que je pourrais toujours avoir l’occasion de retourner à mon individualisme en prenant des vacances à la mer quand la ZAD sera finie avant de retenter autre chose autre part.
Je continue à croire qu’on peut y arriver, je n’ai toujours pas envie de rejoindre le CMDO, j’aimerais seulement qu’on arrête de n’être motivé-es que par la colère, le refus de l’autre et la haine. Je vous aime.
T du HF