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Lettre de Greg, l’un des 5 inculpés du 22 janvier

dimanche 3 mars 2019

Lettre de Greg, l’un des 5 inculpés du 22 janvier :

22 février 2019, Saint-Jean-du-Tertre

Amis, camarades,

J’ai reçu il y a quelques jours les lettres, les cartes et les dessins destinés à me parvenir en prison. À défaut de pouvoir répondre à chacun, c’est pour moi l’occasion de tous vous remercier : ceux que je n’ai pas encore croisés depuis ma sortie, ceux qui par modestie n’ont pas entendu ma gratitude.

Si je n’avais pas été remis en liberté, j’aurais accroché les cartes postales, les poèmes, les dessins de la crèche, les témoignages de soutien, les communiqués et les photos des chantiers collectifs aux côtés des photos de mes enfants sur le mur de la cellule.

Ces mots et ces images ont soulagé mes proches, et permis que nous restions soudés et plutôt confiants face à une action judiciaire obscure et agressive.

Libre, je retiens ces gestes parmi ceux qui me guideront dans les moments difficiles.

Que nous vivions ici ou plus loin, nous avons défendu ce petit bout de territoire collectivement, pendant des années, comme s’il s’agissait de notre jardin. C’est-à-dire en nous sentant responsables de ce qu’il en adviendrait. Ça ne s’est pas passé sans difficultés, nous avons fait de nombreuses expériences, a fortiori de nombreuses erreurs. Même lorsqu’elles ont été commises par d’autres, nous nous en sentons responsables, et en effet toutes nous concernent : c’est la nature délicate et exigeante d’une lutte collective et de son bilan. La façon dont nous avons pris en charge les conflits et les épreuves, quelle qu’en soient l’origine, fait partie de cet héritage, que nous qui continuons de chérir ce jardin ne pouvons simplement céder à l’arbitrage d’un tribunal ou dénoncer d’un trait de plume. Les gestes de soutien portés durant mon incarcération me démontrent que nous sommes encore nombreux à ne pas rejeter cette responsabilité-là.

Ces gestes me rappellent ainsi ma responsabilité envers vous.

Il me semble juste de rappeler ici ce en quoi consiste cet engagement.

Il y a un an et demi, avant l’abandon de l’aéroport, donc, j’ai demandé à devenir l’exploitant officiel de certaines parcelles prises en charge par le mouvement de lutte. Il s’agissait, en faisant reconnaître à l’administration mon travail au sein du collectif Grand Troupeau Communal et du groupe vache à Bellevue, d’obtenir un statut qui me permettait d’éviter, déjà, une incarcération inutile liée à une manifestation anti-aéroport. Devant une assemblée de paysans défenseurs de ces terres, j’ai donc scellé un contrat moral, c’est-à-dire que nous nous sommes dit les choses, que nous nous sommes regardés, et que l’on m’a fait confiance. Ce n’est pas rien, la confiance, parce que personnellement, on m’a plus souvent dit que j’étais une merde que « on t’accorde notre confiance ». Elle a infiniment plus de poids, cette parole donnée, que tous les papiers à en-tête officiels du monde.

Je me suis donc engagé à ce que ces terres auxquelles mon nom est associé dans d’obscurs fichiers administratifs demeurent communes. La responsabilité engagée dans cette parole donnée dépasse ce que les termes d’un contrat écrit pourraient recenser, en ce sens que pour moi tous les autres acteurs du mouvement en sont les témoins. À ce moment où notre avenir était en sursis, ça pouvait aussi bien vouloir dire que mon nom s’effacerait plus tard au profit d’un nouvel installé, ou encore que ces quelques parcelles rejoindraient un pot commun sur lequel les administrations auraient le moins de prise possible. Aujourd’hui, alors que j’ai signé une convention d’occupation précaire, bientôt transformée en bail, cet engagement implique que l’usage agricole des terres qui me sont rattachées demeurent soumis à la décision des producteurs réunis en assemblée, tout comme l’usage des bâtiments, siège de notre activité, demeure soumis au collectif d’usagers de la ferme. Au-delà de ces fonctionnements déjà existants, il y a une responsabilité plus profonde, pour nous qui avons au quotidien la charge et la jouissance de ce morceau de terre, qui consiste à ce qu’il serve un commun plus grand que nous. La constance, la loyauté désintéressée de ceux qui continuent à se mobiliser pour l’avenir de l’ex-zad, est là pour nous le rappeler.

Nous avons une responsabilité envers ce territoire, en participant à renforcer les solidarités, les outils de mutualisation, en se battant via de nouvelles installations pour qu’il ne soit pas soldé au profit de l’agrandissement de quelques exploitations opportunistes ou de tout autre projet destructeur.

Nous avons une responsabilité à nourrir, à notre mesure, les projets de transformations sociales qui naissent dans la chaleur d’autres luttes, tout comme des résistances passées ou présentes ont apporté ici de leurs outils, de leurs histoires.

Nous en avons une envers les autres êtres vivants avec qui nous partageons ces terres, que ce soit la buse ou le crapaud avec qui nous avons sympathisé, le chêne ou l’ajonc qui bordent nos parcelles.

Nous avons à trouver des modes d’organisation de vie et de travail qui nous donnent de la joie. C’est là une fidélité envers nous-même à laquelle nos enfants grandissant ici nous rappellent sans cesse.

Je pourrais écrire des pages sur ce qui, très concrètement, se fait ou se projette dans ces quatre différents registres. La période de semi-autonomie de la zone à défendre a ouvert de nombreuses pistes, en a fermé d’autres. À mon sens, la fin du projet d’aéroport nous permet d’approfondir l’exercice de ces responsabilités. Nous ne sommes qu’au début du chemin, alors, avant de reprendre la route, permettez-moi de vous le dire à nouveau : merci.

Greg Minday