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Lettre d’invitation aux zapatistes

lundi 25 janvier 2021

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A la délégation zapatiste bientôt en route pour l’Europe.  
Avec une pensée particulière aux comp@s, mort.es du coronavirus ou assassiné.es par le mauvais gouvernement et ses sbires.

Nous sommes quelques fxmmes* qui vous écrivons de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes près de l’océan, dans l’ouest de la France. Nous pensions important de parler de ce point de vue -des fxmmes, pas de l’ouest de la France-, bien que pour votre venue -si vous décidez de venir ici- l’ensemble des habitant.es de la ZAD se réjouissent, se joindront à l’organisation et y sont déjà impliqués. Nous voulons vous dire combien nous sommes encouragées par le choix de la composition de votre délégation. Nous sommes heureuses de vous accueillir, et plus que jamais nous sommes prêtes à (re)contracter le virus de la rébellion !

Notre territoire est bien plus petit que le vôtre mais il a failli être enseveli sous les pistes d’un aéroport qui prétendait recouvrir ses 1600 hectares de bocage. Nous nous sommes battu.e.s pendant des années et avons bâti des formes d’ autonomies politiques sociales, et agricoles, traversées par des dizaines de milliers de personnes. En janvier 2018, l’Etat a abandonné son aménagement aéroportuaire mortifère, mais ne supportant pas de nous voir fêter la victoire sur les ruines de son méga-projet, il a entamé en avril 2018 une opération militaire d’expulsion des 300 habitant.es de la zone, et une bataille infernale contre toutes les personnes venues nous soutenir. Nous avons pu y mettre fin - alors que déjà un tiers de nos habitations étaient détruites - en entrant dans une phase de négociation avec le gouvernement et en maintenant un rapport de force qui nous a permis de faire perdurer des marges de liberté et des communs sur cette portion de territoire avec ses quelques dizaines de lieux de vie reliés. Maintenant débarrassées de la menace des hectares de béton, nos formes de lutte se transforment, mais les vôtres n’ont cessé de nous inspirer.

Par notre ciel partagé nos mondes se touchaient déjà. Par les récits de celleux d’entre nous qui sont allé.e.s à votre rencontre et surtout par vos textes, vous avez depuis bien longtemps conquis notre imaginaire.  Bientôt, vos corps se déplaceront, traverseront la mer et nous rejoindrons de ce côté-ci de l’océan. Ce mouvement nous rempli de joie.

C’est avec des frissons que nous avons lu votre déclaration.  Nous avons pour la lutte zapatiste, une affection particulière et une grande admiration. Souvent nous puisons dans vos expériences pour trouver des inspirations à nos rêves de collectifs, et il nous est arrivé d’imaginer qu’il serait bien plus aisé d’avoir un pont construit au milieu de l’Atlantique pour pouvoir se rejoindre à loisir, pour une réu ou un pozol. Bien sûr, paradoxalement, nous aurions probablement nous-mêmes, conjointement mis des bâtons dans les roues à l’entreprise responsable de ce méga-projet.

Mais laissons-là de côté cette mégalomanie et restons simples. Face au cumul des crises, (écologique, sanitaire, politique), il nous reste, comme d’habitude, à explorer les marges et contre-courants, regarder l’autre versant de la crise. Ici, dans notre pays, les structures sociales et médicales publiques encore fonctionnelles semblent vivre leur dernières heures tandis que les lois liberticides, le racisme assumé, la violence policière, et la surveillance généralisée gagnent du terrain. Nous manifestons vivement dans les rues de Nantes, dans les champs qu’Amazon rêve de bétonner ou pour bloquer des centres d’intoxication du monde. Et comme vous, nous essayons d’aller à la rencontre de nouvelles personnes et cherchons une manière de faire converger nos forces pour agir contre l’hydre capitaliste et pour le vivant.  En cela nous avons envie d’échanger avec vous, de vous interroger sur vos pratiques, de vous parler des nôtres. et qui sait, de pouvoir rêver ensemble.

Depuis le chaos des expulsions d’une partie de la Zad en 2018, nous avons continué à habiter le bocage, cherchant encore et toujours comment tordre la loi pour qu’elle ne neutralise pas nos formes de vie. Un combat périlleux et de longue haleine. Mais surtout nous sommes sorti.e.s de l’urgence de la lutte contre l’aéroport et avec cette dilatation du temps, nous avons aujourd’hui la disponibilité existentielle de renforcer sur le long terme les pans matériels et immatériels de l’autonomie que nous construisons. Et de donner encore plus de temps et d’espace à des enjeux comme le soin, la lutte contre le patriarcat ou encore l’anti-racisme. Ce n’est pas toujours facile et des événements douloureux viennent nous rappeler que le chemin est long pour que ces questions essentielles soient au cœur de notre culture collective et de nos espaces d’accueil. 

Nous tâtonnons aussi pour retrouver une relation à l’invisible, pour mieux sentir et partager ce qui nous lie nous et les autres formes de vie avec lesquelles nous cohabitons. Nous tentons de réinvestir à notre manière des traditions populaires qui savaient célébrer les liens au vivant. 

Nous cherchons également des chemins pour que l’art, comme vous le proposez, puisse porter notre survie et nos espoirs. Certain.es d’entre nous ont, avec le théâtre, la danse ou le dessin, des manières décalées d’habiter le monde. Nous tentons de créer des ponts entres nos vies et ces pratiques artistiques, et des passerelles entre la zad et des artistes d’ailleurs. Et cela nous pose beaucoup de questions dont celles-ci : quand est-ce que l’art se sert d’une lutte comme d’un matériau quelconque, vernis de bonne conscience ? Quand est-ce que l’art porte une lutte et la soutien ? Quand est-ce qu’il nous permet de nous relier et de nous faire grandir ? 

Ici, on aime danser, chanter ou écrire des chansons, il nous est arrivé de confectionner de grands animaux articulés et des centaines de masques.Parfois nous bricolons des rituels néophytes mi-fantasques, mi-solennels.Nous serions enchanté.e.s de pouvoir partager toutes ces choses avec vous. Et nous adorerions apprendre à faire de grandes fresques colorées comme vous savez le faire. 

Nous aimerions aussi vous présenter nos divers lieux de vie aux usages hybrides, les champs, les ateliers, les troupeaux et les forêts du mouvement. C’est à la fois peu et beaucoup pour nous. C’est à partir de là, que nous nous attachons tant bien que mal à éprouver ce que peut être un rapport au travail, à la production, à la redistribution qui ne soit pas soumis au nihilisme marchand et destructeur du sol qui l’abrite. C’est à partir de là aussi que nous imaginons des échanges avec vous et d’autres territoires en recherche d’autonomie, échanges d’autant plus stimulants que nous serons réuni.e.s physiquement.

Nous avons envie de nommer ce qui rend nos luttes communes et pas simplement solidaires. Et nous sommes prêt.es à vous seconder dans votre entreprise de vaincre les calendriers et les géographies, pour se rassembler autour de notre rêve commun. C’est pourquoi nous vous faisons les propositions suivantes : 

1 - Nous serions heureus.es d’accueillir une partie ou l’ensemble de la délégation, sur la zad, pour la durée que vous souhaitez. Pour que nous puissions vous inviter dans notre quotidien, afin de le partager avec vous et d’échanger sur nos pratiques. Au sein de cette rencontre, nous proposerons des moments en mixité choisie, sans hommes cis. 

2 - Si vous le souhaitez, nous avons aussi la possibilité d’organiser quelques jours de rencontres "intergalactiques" liés à votre venue et plus largement ouverte à la présence de quelques centaines à quelques milliers de personnes (en s’adaptant aux précautions sanitaires qu’il nous semblera juste de prendre à ce moment là ). Les rencontres intergalactiques ont rythmé les quatre étés derniers sur la zad, en faisant se croiser des représentantes et représentants de nombreuses luttes de pays différents. Elles se sont tenues à l’Ambazada, notre cabane intergalactique, construite avec nos amis basques et d’autres encore, pour accueillir des luttes d’ailleurs ; nous l’avons bâti en espérant vous y accueillir un jour.  Organiser de telles rencontres durant votre venue, et en faire un moment fort de votre passage en Europe, pourrait permettre de rassembler différents espaces en résistance pour continuer de partager autour de leurs pratiques respectives avec tous les apports liés à votre expérience singulière. par ailleurs en ce qui concerne d éventuelles plus larges rencontres en mixité choisie, nous nous rallions au processus d’autres régions.

Nous sommes prêt.es et nous vous attendons.

à très vite,

Depuis les étendues bien plates (et à gauche) du bocage de Notre dame des landes,  quelques meufs habitant.es de la ZAD

*Nous utilisons le mot fxmmes pour parler depuis notre réalité mais ce terme se veut inclusif avec toutes les personnes non homme cis qui ne se reconnaitraient pas dedans. Nous souhaitons que toutes ces personnes se sentent invitées ainsi que les compañeros.

lettre en espagnol :

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