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Après un baptême au lacrymo, ma nouvelle profession de foi : on lâche rien !

mardi 4 décembre 2012

J’ai senti pour la première fois l’odeur des gaz lacrymogènes samedi dernier, le 24 novembre.

Dans la forêt de Rohanne, un cordon de gardes mobiles entouraient les pelleteuses pour leur permettre de détruire les cabanes dans les arbres sans que les citoyens ne puissent s’y opposer. J’étais contente et impressionnée de voir les gens dans les arbres, là depuis la veille pour empêcher la destruction de leurs lieux de vie. Les gendarmes tiraient des grenades lacrymo, sans que j’arrive à comprendre pourquoi, je ne voyais aucune agression de la part des manifestants. La fumée piquait, mais au début aucune n’est tombée près de moi.

A un endroit, des gendarmes semblaient plus ouverts et blaguaient avec nous, c’était bien de voir qu’ils souriaient aussi, qu’ils redevenaient humains pour quelques instants avant de se replier derrière leur armure pour ne laisser voir qu’une froide implacabilité.

D’autres bombes ont explosé, une a atterri tout près de moi. Je pleurais, ça piquait fort, mais j’étais surtout sous le choc. Quand j’ai pu quitter le nuage de fumée, sonnée, des camarades m’ont nettoyé les yeux, l’un d’eux m’a demandé si c’était mon baptême -oui- et m’a embrassée pour me réconforter. Les gendarmes étaient à cinq mètres, impassibles. Je pleurais toujours mais ça ne brûlait plus, je suis allée leur parler, leur dire que j’étais contente d’être là malgré tout, que je savais pourquoi j’étais présente et que j’étais fière, du haut de mes dix huit ans, de dire "non" à ce qui se passait. Je leur ai dit que je ne comprenais pas pourquoi eux avaient choisi ce métier, qu’ils devaient se sentir mal après avoir grenadé des gens innocents, comment peuvent ils accepter ce métier ? Savaient ils ce qu’ils participaient à détruire, au service de quoi et de qui ils étaient utilisés ? Ils ne me répondirent pas, ceux-là ne disaient rien ; mais ils me regardaient. Je crus voir de la compassion, du mal-être, de la tristesse mal camouflée dans leur yeux. Je suis retournée avec ceux qui m’avaient réconfortée, qui m’accueillirent d’un sourire approbateur. De loin, je continuai à regarder les gendarmes silencieux et recommençai à pleurer de leur faiblesse et de leur incapacité à refuser la violence que, parce qu’ils sont humains, ils ne désirent pas au fond d’eux. Je pleurais leur carapace qui les empêchait de montrer ce qui fait qu’ils sont humains et pas animaux : leurs émotions. Pour ça je suis fière de pleurer, et quelque part je me sentais bien plus forte qu’eux par ma capacité à sentir, à réagir, à dire non. Je leur souhaite d’être suffisamment forts pour oser poser les armes si un matin ils n’ont pas envie d’aller cogner les gens et couvrir des destructions. La journée à été longue encore ; dans le champ d’à côté, où étaient l’équipe médicale et les repas, les gendarmes sont venus lancer des lacrymos et bombes assourdissantes. Ils n’ont pas arrêté de charger et de blesser les gens, les explosions s’enchaînaient. Le soir je revoyais dans ma tête les lignes de gendarmes, dans la forêt, éclairés par un rayon de soleil qui perçait le brouillard des gaz. Ce sont des visions qui semblent tirées d’un film...

J’ai aussi vu plusieurs personnes blessées, avec des bleus énormes ou des éclats métalliques de bombe enfoncés dans les jambes, d’autres qui boitaient. Et dire que c’est soi-disant légal ! Moi, naïve, je croyais que les gendarmes étaient au service de la population, mais en fait ils ne servent que les intérêts de l’Etat. Le lendemain, on a ramassé les déchets dans la forêt : plusieurs cageots de grenades lacrymos ont été réunis, et beaucoup d’autres déchets, des bouteilles cassées, les restes de nourriture des bleus...

Si je devais dire les émotions que j’ai ressenties ce jour-là, elles étaient nombreuses : la fierté de participer à cette lutte ; l’indignation devant les violences de l’armée ; l’admiration an voyant l’énergie que peuvent déployer les Hommes qui se battent pour leurs valeurs ; la colère d’être impuissante face à un casqué, et en même temps la détermination farouche de ne rien lâcher et d’apporter ma pierre à l’édifice ; la tristesse, la compassion pour tous ceux qui souffrent, les blessés mais aussi les gardes mobiles qui doivent aussi souffrir cachés derrière leurs armures ; l’écoeurement et la rage face aux injustices commises par l’Etat et Vinci ; l’émerveillement de la solidarité entre nous, et la foi en la force que donne l’union.

Merci aux Camilles d’être là et de se battre une Camille.