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La violence de l’Etat

dimanche 3 juin 2018

[Texte reçu sur notre boîte mail, en soutien à Maxime]


De l’amputation volontaire :

La doxographie du philosophe Anaxagore (V ème siècle avant notre ère), ce que les autres ont dit qu’il avait dit, est riche de ce commentaire d’Aristote : « Anaxagore prétend que c’est parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des animaux ».

Pour Aristote, la main n’est pas la cause de l’intelligence comme semble le dire Anaxagore. Ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est devenu l’animal le plus intelligent mais bien parce qu’il était déjà le plus intelligent que la Nature lui a donné des mains, l’outil le plus complexe qui soit : « la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres ». En effet, elle est tout à la fois « griffe, serre, corne ou lance ». Elle est multifonctionnelle. La main est plutôt donc un effet, une conséquence de l’intelligence. C’est la conception finaliste (qui suppose une intention dans la nature, un dessein intelligent) d’Aristote qui s’oppose ici à celle, mécaniste et matérialiste (celle plus en accord avec notre vision actuelle du monde), d’Anaxagore.

Mais là n’est pas notre problème. En effet, qu’elle soit cause ou effet, la main est l’indicateur de ce que les Grecs nommaient le Noùs : une certaine manière de se rapporter au monde. La main témoigne d’un certain rapport au monde et c’est ce rapport que nous allons tenter d’élucider.

La question qui nous semble essentielle est alors la suivante : de quel type d’intelligence la main témoigne-t-elle ?

Nous ne ferons pas de hiérarchie comme semble le faire Aristote en déclarant que l’homme est l’animal le plus intelligent. Ce qui nous intéresse est plutôt une éventuelle spécificité humaine liée à la possession de mains.

Si la main est un outil à fabriquer des outils c’est parce que les hommes transforment sans cesse leur environnement, la nature, ainsi que, conséquemment, leur propre nature. D’une certaine manière, notre histoire est celle de notre opposition au donné naturel, c’est ce que nous appelons la culture. On invente l’avion pour s’arracher à la pression atmosphérique et le téléphone pour abolir les distances.

La main témoigne donc d’une révolte essentielle, constitutive de notre humanité, révolte face à ce qui tente de s’imposer comme réalité fixe et immuable. La révolte est donc la croyance au possible qui ouvre cet univers clos que représente la réalité.

La révolte est ouverture au possible qui sans cesse affirme qu’un autre monde est possible.

La main est l’instrument de cette révolte. Elle tient entre ses doigts, à chaque instant, l’émergence du possible, l’ouverture d’un autre monde. Elle est subversion, insurrection, elle est le danger pour les pouvoirs établis qui tentent de s’imposer comme les seuls légitimes.

On comprend alors pourquoi l’exercice fondamental de l’État ce « monstre froid », disait Nietzsche, est celui de la violence [soi-disant] légitime. On comprend pourquoi il coupe des mains en toute impunité.

L’amputation de la main, c’est la tentative de réduire à néant la pensée c’est à dire la révolte, le refus de ce qui est imposé extérieurement comme irrémédiable.

L’État, c’est M. Seguin qui attache une corde au cou de sa chèvre pour qu’elle reste bien gentille dans son enclos.