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samedi 18 mai 2013
Compte rendu subjectif, partiel de la discussion « Qu’est-ce que la victoire ? », samedi 11 mai à la chat-teigne. Entre une centaine et cent cinquante personnes présentes.
Une proposition de prendre des tours de parole et quelques remarques préliminaires sur la forme de la discussion ne font pas débat.
Une personne introduit la discussion en lisant un petit texte partant d’un vécu, subjectif. Partant de l’idée que Non, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas forcément réjouissant d’envisager une annulation de l’aéroport... Parce que cette lutte nous fait nous rencontrer, crée des liens, brise des murs et qu’il est encore pas certain que le mot d’ordre « contre l’aéroport ET SON MONDE » soit assez largement repris pour ne pas craindre une lente extinction de la lutte ici en cas d’annulation de l’aéroport.
Une première intervention envisageait l’après « l’aéroport est annulé » et énonçait l’idée que la victoire sera toujours la défaite du combattant qui par définition a besoin/vit de la lutte. « On ne peut pas vaincre complètement un système, on ne peut que l’améliorer. Lors du retour à la normal de la fin d’une lutte, chacun peut, dans « le bercail », continuer à faire vivre ses idéaux, individuellement. »
Ce à quoi il a été répondu, à peu près ça : « Qu’un idéal soit inatteignable, oui, peut-être mais je ne cherche pas à améliorer ce système pourri, à la base corrompu et donc pas réformable, sans quoi on n’éliminera jamais dominations et inégalités. »
« Il faut se poser la question de ce qu’on fait après la victoire. Mais qu’est-ce qui est déjà prévu ? » Cette question était posée à des personnes vivant sur la zone. Il a été répondu que ce qui existe déjà, par exemple, c’est Sème ta ZAD, qui n’est pas seulement une manif’ mais un projet agricole. Que les terres ne doivent pas « revenir à leurs propriétaires » comme il a été suggéré précédemment puisque c’est Vinci qui possède la majorité des terres de la Zone (et qu’on va pas laisser les terres à Vinci, même si ils font pas leur aéroport).
Après « la victoire » (entendue ici comme « annulation de l’aéroport »), une autre personne a exprimé souhaiter voir perdurer un processus de collectivisation des terres, d’abolition de la propriété privée sur la zone.
En réaction à l’invitation a faire vivre ses idéaux individuellement, il a été dit que la victoire n’est pas quelque chose d’individuel mais dans la continuation à parler et trouver des solutions ensemble sans les institutions ou plutôt avec les institutions qu’on se donnera nous mêmes consciemment et dont on peut changer à tout moment.
« Un bout de la victoire c’est quand la lutte et la vie ne sont plus deux instances distinctes. »
« Une victoire serait de diffuser l’expérience sociale d’ici, sans la diluer. »
« Après la victoire contre l’aéroport, il ne faudra pas oublier que ce projet n’est qu’une verrue super visible d’une politique globale qu’il reste à combattre. Une victoire ici c’est que la peur s’installe chez des décideurs, qui hésitent désormais avant d’imposer leurs projets. Comme à Toulouse où la construction d’un aéroport devait commencer en 2017 mais cela a été annulé, voyant le bourbier de Notre dame des Landes en ne souhaitant reproduire la même chose chez eux ? . La victoire ce serait un pouvoir réel sur les décisions qui concernent nos territoires, mais quelque chose d’autre que leur faire-valoir de « démocratie participative ».
« Est-ce que l’auto-organisation collective ici n’est pas déjà une victoire ? Expérimenter de nouveaux modes de vie, sans exclusion, sans pétrole. Si on enlève le pétrole tout le fonctionnement de nos sociétés modernes s’effondre. Il faut redécouvrir les palabres, le mode de fonctionnement des sociétés traditionnelles, qui fonctionnaient sans pétrole et avec une « concertation locale » ».
« Il faut imaginer l’après nucléaire aussi quand on pense à la victoire. »
« Oui, mais la sortie du nucléaire n’est pas en soi une victoire, l’Allemagne sort du nucléaire et pourtant la société allemande n’est plus « idéale » que la nôtre. Ce n’est pas qu’un problème énergétique mais aussi un problème politique. »
« La victoire est déjà là dans ce « parc d’attraction » qu’est la ZAD mais « parc d’attraction d’idées, de réflexions » ».
« La victoire définitive n’existe pas alors ne boudons pas les petites victoires ! C’est utile contre la résignation de montrer que c’est possible de les faire reculer. On devrait/pourrait se donner des objectifs clairs, se dire par avance que tel ou telle chose est une victoire, histoire de pouvoir sortir le champagne et savourer quand ça nous arrive de gagner des trucs !
« Essayer d’incarner nos idéaux. Être plus cohérent, parce que certaines des choses contre lesquelles on lutte sont en nous et c’est parfois la lutte la plus dure, celle qui commence par soi-même. »
« Vous, sur la ZAD, vous avez déjà gagné ! » « Non, ON a déjà gagné ! Il n’y a pas de nous/vous, je préfère qu’on parle de « on » ». « Et puis on galère avec l’auto-organisation sur la ZAD, il ne faut pas trop idéaliser/fantasmer la vie ici. Ici aussi existent les mêmes problèmes que dans le monde dominant, on y a été éduqué/formaté, c’est pas évident de s’extraire de tout ça ».
« Ce qui est intéressant de noter c’est que même si, ici, « rien ne marche » (comme disent certains zadistes parfois), « plus rien ne fonctionne » (des institutions du monde dominant), on peut vivre quand même. On vit très bien comme ça. »
« Les zadistes ici, ça nous montre qu’on peut vivre avec pas grand chose dans les bois, bravo, il faut du courage. »
« Ce qui est important c’est l’amour, il faut tous s’aimer, de l’amour de Jésus et être ouvert-e-s. »
« On élude jusqu’à maintenant la question du rapport de force, très liée à celle de la victoire. Dans le contexte actuel de crise qui sert à justifier toutes les politiques d’austérité et de recul sur les acquis sociaux, le rapport de force ne nous est pas favorable. Il ne faut pas croire qu’on va déclarer « sécession » avec l’État et expérimenter tranquillement dans notre coin, la vie sur la zone paraît assez calme maintenant que les gendarmes sont partis mais il ne faut pas oublier que l’état possède toujours une importante force de frappe et qu’il ne laissera pas une zone échapper à son contrôle si facilement, si il n’y est pas forcé par un important rapport de force. D’où l’importance de la convergence des luttes. »
« Une petite victoire est souvent une concession du pouvoir pour faire baisser la pression et « sauver les meubles », garder le pouvoir, conserver l’ordre. »
« Si on parle de rapport de force, il faut dire qu’il se construit aussi avec des affrontements physiques avec les forces de l’ordre et qu’il est super important de ne pas se désolidariser d’avec les personnes qui se défendent « violemment ». »
« Les personnes qui vivent ici ne sont pas de petits soldates de la lutte. Elle n’ont pas un esprit de sacrifice démesuré, elle viennent ou vivent ici parce qu’elles y trouvent quelque chose aussi, c’est une aspiration. »
« La victoire, ce sera si des personnes ne repartent pas dégoûtées du mouvement ou du milieu militant à cause de dominations qu’on aura pas su ne pas reproduire ou auxquelles on aura pas su réagir. »
« L’auto-critique faite par quelques zadistes est chouette. Il ne faut pas trop idéaliser ce qui se passe ici. Il ne faut pas non plus tomber dans un excès inverse de dénigrer tout ce qui se fait ici ».
« Faire sécession, c’est bien gentil mais il faut les moyens pour la « tenir ». Illusions écolos, réformistes sont dangereuses de ce point de vue là. »
« Une victoire c’est de changer la vie quotidienne, le personnel pour y éliminer les dominations. Ici aussi il y a des dominations, du consumérisme, autoritarisme, des modes d’habitats calqués sur le monde dominant. La question de la libération des espaces pose celle du rapport à la violence. La libération par la force est nécessaire parfois. Même si cela pose la question des moyens qu’on se permet d’utiliser pour atteindre nos fins. Cette tension doit restée vivante. »
« La liberté c’est bien joli, ça « fait bien » mais si ça veut dire ne pas avoir d’attaches, ne pas avoir de liens, avec des personnes, avec un territoire, bah ça ne m’intéresse pas. Je ne crois pas que ce soit vivre dans les bois « sympathiquement » qui fasse trembler le monde contre lequel on lutte. On a besoin de construire un rapport de force et je crois pas qu’on fasse ça simplement en allant vivre dans les bois . »
« Des dominations existent et ne sont pas abolies parce qu’on utilise un « tour de parole ». Par exemple dans cette discussion les hommes ont plus parlé que les femmes, plus longuement et la majorité dees personnes qui ont parlé plusieurs fois sont des mecs. Preuve que la domination masculine n’est pas abolie parmi nous. Designer un grand ennemi extérieur est bien pratique pour invisibiliser les dominations parmi nous. L’amour et l’ouverture sont de belles notions mais tellement vagues qu’on peut mettre n’importe quoi derrière. Ouvert à qui ? Ouvert à quoi ? L’amour de quoi ?
La question de quelle forme donne-t-on à notre discussion posée en début de discussion est important à poser comme il est important pour moi, de poser celle des formes d’organisation que l’on se donne pour fonctionner ensemble ? Comment prend-on les décisions ? Après une annulation de l’aéroport la question n’est pas seulement, qu’est-ce qu’on fait des terres mais qui prend la décision et comment ? »