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Récits d’un séjour au Pays-Basque

jeudi 7 mars 2019

Jour 1

Nous avons rendez-vous à Baiona pour rejoindre notre hôte. On rejoint H. dans un bar d’habitués. Première ambiance, des gens jouent aux cartes, il pleut dehors et ça sent la chaleur à l’intérieur.

Des stickers sautent aux yeux, blanc sur fond violet "bortizkeria sexistei ez" - "Non aux violences sexistes". Un peu comme les pierres du petit poucet, ils marqueront notre chemin pour les 4 jours à venir puisque nous les avons retrouvé à peu prêt partout jusque sur les serviettes en papier d’un café.

Le temps de découvrir le Patxaran et on part assister à la réunion de la plateforme « G7 EZ ! Non au G7, pour un autre monde ». Aman Komunak (collectifs des lieux autogestionnaire des pays basques nord et sud), Attac pays basque, Aitzina, et bien d’autres syndicats, partis politiques, collectifs antifacistes prennent place ensemble, déterminés à protester contre la tenue du G7 qui devrait envahir la ville de Biarritz à la fin du mois d’août avec son lot de zones rouges interdites et de mesures d’interdiction de manifester dans la droite ligne des réformes macronistes des derniers jours. La riposte prend forme et se veut anticapitaliste, antiraciste, féministe et internationale tout en s’appuyant sur la réalité d’une lutte d’un peuple pour son autodétermination.

Jour 2 Iruñea, deuxième étape.

Il fait gris et on part en convoi. Premières image d’Iruñea, un bâtiment orné d’une immense baie vitrée en forme de... croix catholique ! Voici l’un des sièges de l’Opus Dei. On finit par trouver un parking souterrain et une fois à la surface, on se retrouve face aux arènes. Corrida et extrémisme religieux, drôle d’arrivée. On apprendra plus tard que l’Opus Dei est fort dans cette ville, tout comme le sont les mouvements populaires. Un extrême face à un autre....

(Nous longeons les bâtiments de l’Opus Dei et les arènes de corrida avant de rejoindre le centre ville et d’effleurer le temps de 24h l’univers de la gauche indépendantiste basque.)

Le Gaztetxe Maravillas La "merveilleuse", situé dans le centre historique, porte les traces de son expulsion il y a peu. Nous apprenons que suite à des manifestations de soutien à l’expulsion de ce Gaztetxe, des dizaines de personnes ont été interpellées, blessées, inculpées.

On prend conscience de la différence de réalité politique entre le Pays Basque et chez nous en apprenant que plusieurs milliers de personnes peuvent prendre la rue quand un squat se fait expulser. Devant la porte de Maravillas, sur la petite place tou-tes groupées autour de la fontaine qui ne coule plus, rues pavées et bâtiment de quelques étages. Sur plusieurs de ces fenêtres, des morceaux de tissus turquoise sur lesquels, en blanc, est sérigraphié un cercle traversé par une flèche qui nous est familière. Le signe du squat accroché en signe de solidarité par des voisin-es Les Gaztetxe représentent beaucoup, lieux d’organisation politiques et populaire, il y en a plus de 150 dans tout le Pays Basque. Ancrés depuis plus de 20 ans ou ouverts il y a quelques semaines.

D’ailleurs c’est dans l’un d’eux qui nous poursuivrons la soirée pour une discussion à plusieurs voix sur l’histoire de la lutte contre l’aéroport de NDDL, dans un quartier ouvrier.

Dans ce grand hangar, un groupe de jeunes s’organisent et notre passage et malheureusement trop court pour comprendre leur réalité. Après la discussion on ne peut manquer la tournée des bars et partager pour quelques heures l’animation nocturne de la ville. Quelques heures de sommeil, le bonheur des pintxos, incontournable du petit déjeuner pour se mettre en route... le convoi repart !

Jour 3

C’est un de ces réveils de lendemain de soirée où la patience face au café qui monte dans la Mocca est à la hauteur du plaisir de prendre le temps de se réveiller et de le boire, dehors, sur un des innombrables bancs du quartier squatté d’Errekaleor, à Gasteiz. Le soleil, présent depuis le petit matin, réchauffe et illumine les jardins collectifs qui bordent les bâtiments. Si on porte le regard plus loin, on peut voir les grandes friches qui entourent le quartier, un endroit anciennement destiné à parquer les ouvriers à l’écart de la ville. Au-delà de ces cordons de sécurité naturels - pour protéger la ville de nous, ou nous de la ville ? - on tombe sur la zone industrielle voisine et un quartier d’habitation fraîchement sorti du sol d’une ville en perpétuelle expansion. La gueule béante de la ville à l’air de vouloir encercler les lieux....

Sur une des places centrales du quartier d’Errekaleor, le temps est propice aux activités et la vie s’anime. Des copaines, agenouillé.e.s et méticuleuses, font des banderoles. D’autres, perché.e.s sur des escabeaux, dessinent des fresques murales sur un des trente bâtiments qui composent le quartier. D’autres encore vont avec des enfants nettoyer les abords de la rivière voisine et y ramasser les déchets. Et nous, au milieu de tout ça, on papillonne, on participe ou on prend le temps de réaliser où l’on se trouve.

Notre ami, camarade, traducteur et guide nous convie sur la place, « Il y a des histoires que j’aimerais partager avec vous ». Sur la banderole au sol c’est écrit « Dena eman dutenei dena zaie zor. Oiertxo ; Agur eta ohore ». Il nous traduit, « on doit tout à ceux qui ont tout donné. Adieu et honneur ». Et là il nous raconte... Oier Gomez, ancien prisonnier politique basque, est mort la veille. Il avait 35 ans. Militant de l’ETA, condamné à 15 ans de prison en 2011, il a été libéré en 2017 quand son cancer en phase terminale a été diagnostiqué et suite aux pressions de ses proches et camarades. Libéré tardivement, quatre ans après la découverte de son premier cancer, l’État a pris son temps, histoire d’empêcher toute autre issue que sa mort. Et ce n’est même pas une exception. C’est une partie de leur histoire passée et présente, une lourde partie.

Une vingtaine d’autres militants gravement malades sont toujours prisonniers politiques. Et parmi les centaines de prisonniers basques, l’immense majorité incarcérées volontairement très loin de leurs proches. Que d’histoires complexes à peine effleurées d’un Pays Basque qui vit, s’adapte et résiste, mais paie lourdement le prix de ses volontés d’indépendance et d’autonomie. Le temps d’une photo de groupe et c’est déjà l’heure de reprendre la route. Un moment éclair, mais des moments qui touchent et qu’on emporte avec soi. Le Pays Basque est plus proche maintenant.

Sur la route, la torpeur gagne du terrain, on somnole tant bien que mal dans les voitures, mais les rires et la chaleur de nos hôtes nous bercent jusqu’à la prochaine destination. Toujours en convoi, on emprunte les voies rapides qui nous permettent quand même d’avoir un aperçu des montagnes dont certaines sont coiffées de neige. Lorsqu’on arrive à Beasain, le soleil nous a suivi depuis Errekaleor.

Il est 15/16h et la ville est vide, la plupart des commerces fermés. On attend en se prélassant au soleil, ôtant nos vestes les unes après les autres, tout en admirant les façades peintes du Gaztetxe. L’AG de l’Ambazada ne va plus tarder. Des ami-es arrivent depuis l’Iparralde (pays basque nord) et on s’embrasse chaleureusement. Plus tard, un tour en ville. Il est maintenant pas loin de 20h et la ville s’est réveillée. Les rues regorgent de monde, d’enfants qui cavalent ou jouent à la balle contre les murs, et dans les bars, ce sont plusieurs générations qui se croisent. Malgré l’architecture peu avenante et le froid qui tombe avec la nuit, on flâne un peu dans ces rues vivantes et habitées.

Après l’AG, un cabaret. C’est le moment des retrouvailles pour certaines, pour d’autre c’est l’apéro rituel du soir qui reprend, pour d’autre encore... et bien les deux à la fois. Entre chaque scène, deux femmes jouent des hôtesses. Elles s’expriment en basque et en castillan. Au bout d’un moment on comprend : nous sommes dans un avion à destination de NDDL. Fin du spectacle, mention des deux copines à notre présence et les gens qui nous applaudissent. Ce serait plutôt à nous d’applaudir leur lutte et la force qu’elleux dégagent ! Les concerts démarrent rapidement. Le son est fort, la bière est bonne, le patxaran toujours là, on rit beaucoup et longtemps.

On est venu à une quinzaine, ça faisait un peu colonie de vacance et ce soir, c’est un peu comme la boum de fin de colo... Mais avec du punk à la place où les chanteuses on une patate à faire frémir la caféine.

Quand le jour se lève, certaines sont encore debout et le son est toujours aussi fort. On se lève les unes après les autres, pas tou-tes frais comme des gardons. Le départ arrive, trop vite comme à son habitude. Il va falloir partir, mais avant une dernière tournée de pintxos.

On se dit au revoir. Malgré la pluie battante, l’envie de rester taraude. Mais on repart... Pour mieux revenir....?