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Sur la lutte à Notre Dame et sur ses formes : essai de mise en perspective

jeudi 27 décembre 2012

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La situation : un projet d’aéroport menace un territoire riche en biodiversité, mis en valeur par des générations de paysans, qui entament la lutte contre ce projet. Des paysans, des personnes continuent à vivre et s’installer sur la zone.

Sur invitation des précédents, des maisons abandonnées, des terres laissées en friche sont investies et mises en culture, des constructions sont réalisées, par des personnes jeunes et moins jeunes, avec des projets de vie (collectifs et individuels). Ces projets intégrent la volonté d’autonomie, posent les problèmes de la production alimentaire, du salariat, du rapport au progrès, aux institutions, ainsi que la volonté de lutte contre différentes formes de domination : sexisme, prise de pouvoir (en accaparant la parole...), contrôle flicard de la population, répression. Ce que certain-e-s résument dans la formule ’contre l’aéroport et son monde’ (ou ’le monde qui va avec’). Certains affirment être anticapitalistes, d’autres plutôt anarchistes... les personnes impliquées sont diverses, et revendiquent cette diversité.

Face au projet d’aéroport, l’objectif est clairement la défense d’un territoire menacé, tant ce territoire lui-même que les personnes qui ont choisi d’y vivre, de manière parfaitement légitime même si elle est ’illégale’. En avril-mai, une grève de la faim (28 jours pour le camarade qui l’a faite le plus longtemps) était, pour les grévistes, une extrême violence vis-à-vis d’eux-mêmes (sans violence vis-à-vis d’autrui), qui a obtenu un répit : que soient attendus certains des recours déposés avant les expulsions des occupants ’légaux’.

L’occupation est une autre réponse pertinente pour défendre ce territoire. La rébellion et la lutte s’imposent face à l’agression des forces du désordre, sous direction du préfet, pour ’karchériser’ la zone, c’est à dire expulser les habitant-e-s, détruire les maisons (en évacuant le moindre débris pouvant servir à la reconstruction) et vider la zone de tous ceux que le pouvoir qualifie d’accapareurs, de terroristes et autres vampires.

Il s’agit bien de mener une lutte, une lutte dure, une résistance, et non pas de se réfugier dans la passivité au nom d’une quelconque exigence du respect de la légalité, ou au nom d’une quelconque impuissance, ou même au nom de la ’non-violence’ ou du ’pacifisme’ (ce qui n’est pas la même chose !). Et je ne parle pas ici de l’infâme ’respect des personnes et des biens’ (je m’oppose systématiquement à l’utilisation de cette formule), comme s’il était possible de mettre sur le même pied les morts d’enfants suite aux crimes des multinationales et quelques dégâts matériels à certains de leurs chantiers, ici ou ailleurs.

Poser la question de la lutte, c’est poser celle du rapport de force à établir, et des moyens de l’établir.

Plusieurs réponses sont bien sûr possibles à ces questions, largement débattues entre zadistes, entre ’historiques’, ou les deux composantes ensemble. Des modes d’action dits ’non-violents’ peuvent être des moyens pour l’établissement de ce rapport de force : on peut rappeler que le succès de l’action non violente implique à la fois le choix de thèmes ou de revendications capables d’être largement repris par la population, et le choix de modes d’actions qui peuvent être aussi partagés ou au moins très largement soutenus. Les modes d’action doivent aussi éviter d’attiser la haine, non pas seulement ou principalement pour des raisons morales, mais aussi pour des raisons politiques : la haine aveugle, la haine affole, quand nous avons besoin de lucidité et de courage politique... Il n’en reste pas moins que ces modes d’action doivent être capables de concourir efficacement au but recherché : il s’agit de défendre un territoire et ses habitants, pas de ’tendre l’autre joue’ en se laissant écraser.

Sur la défense du territoire, la mise en place de barricades (y compris avec saignées sur les routes/chemins, devant et derrière), de barrages inflammables (bois, foin), ont eu (et ont toujours) pour objectif premier le blocage du passage des engins de démolition, car ils n’empêchent le passage par les champs ni des militants, ni des forces mobiles (je l’ai écrit sans démenti ni bulles sur zad.nadit.org ...). Les jets de motte de terre, de bouses de vaches (même si, non criblées, elles ont pu contenir quelques cailloux...), pommes de pin et autres renvois de grenades lacrymogènes à main nue sur des robocops sur- équipés m’ont aussi paru des réponses ne mettant pas en péril la survie de ces derniers, ni même capables de leur faire subir de graves préjudicies physiques ; le caillassage de véhicules de police (atteinte aux biens, horreur !!!) peut aussi être un moyen de concourir à l’objectif poursuivi. Une mention particulière aux courageux grimpeurs (sur les toits et/ou dans les arbres), ou habitants des arbres, qui ont mené pendant des jours une résistance exemplaire (selon des modalités peu connues par ici) et ce n’est pas fini...

Il n’y a pas eu à ma connaissance pose de pièges (il paraît que les mobiles, que je voyais le premier jour , quand nous attendions leur assaut, frapper en vain le maïs autour de la Gaitée, cherchaient des pièges à ours, à loup, des explosifs ou mines ... autour des maisons, avant de les investir...), pas eu non plus d’utilisation d’armes de chasse (avec balles pour sanglier par ex...) : j’avoue que çà m’aurait posé problème... J’ajoute que nous luttons contre l’envahissement d’un territoire que nous occupons, une situation d’occupation par des personnes extérieures (flics ou autres envahisseurs...) exigerait peut-être l’emploi d’autres moyens de lutte. Nos parents ont eu des choix redoutables à faire...

La violence que nous avons subie, assez inouïe tout de même, est venue uniquement des forces du désordre. Nous nous sommes exposés à ces violences, en jeans et blousons, sans protection, ou presque (souvent jus de citron sur masques en coton et sérum physiologique, c’est peu !). – Violences psychologiques : diffamation sur les personnes, destruction de maisons habitées, de potagers (gazage des légumes... écho au gazage des vaches de juin 2011... insupportable pour les personnes s’en occupant au quotidien...). – Violences physiques : acharnement à frapper des militants incapables de se protéger (dans les godets de machines), gazages non motivés, tirs tendus de grenades assourdissantes (provoquant des blessures parfois graves, voir témoignages du docteur Stéphanie L.). risques énormes que les GM et autres CRS ont fait prendre, pour les dégager, aux camarades se plaçant volontairement sur les toits et/ou dans les arbres, tout ceci était à mes yeux des actes, non de maintien de l’ordre, mais des actes de guerre civile, (je pèse mes mots). Ils devront faire (ou ont déjà fait) l’objet de plaintes. – Violences juridiques : gardes à vues, condamnations à amendes, et maintenant prison ferme (5 mois fermes pour Cyrille)...

Nous avons toutes les raisons de craindre cette violence. Après les deux arrêtés autorisant la destruction et l’expulsion de la Châtaigneraie, des journalistes ont demandé à l’un des camarades s’y étant domicilié s’il avait peur de ce qui pourrait advenir si les forces du désordre attaquaient ce lieu : « Oui, et comment voulez-vous qu’il en soit autrement, après ce que que nous avons vécu, les blessures que nous avons subies... a-t-il répondu.

L’énorme travail d’information mené tant par le biais du site zad.nadir.org que par d’autres outils internet éventuellement plus anciens (Acipa...) a montré et dénoncé cette violence, a popularisé la lutte. Les différentes équipes mises en place (accueil, radio, communication, auto-médias, équipe juridique, légale, médicale...) continuent à jouer pleinement leur rôle (des permanences quotidiennes assurent toujours entre autres les pansements des blessés des 24 et 25 novembre...).

Personnellement je considère comme plutôt miraculeux, et dû à la responsabilité des zadistes (pas à la responsabilité des flics !), que nous n’ayons pas eu plus de blessures, et de plus grande gravité : je tiens à saluer leur courage physique (je l’ai déjà fait par oral publiquement, devant des journalistes, par écrit) face à la répression. Je tiens aussi à souligner leurs réflexion et solidarité dans l’organisation de la lutte, et le rôle qu’ils ont tenu dans ce tsunami de violence déchaîné contre nous tous : leurs réponses et actions ont été pertinentes, adaptées aux objectifs poursuivis, dans un équilibre quasi impossible à tenir.

La population ne s’y est pas trompée d’ailleurs dans le soutien exceptionnel qu’elle a apporté très vite et spontanément à la résistance, depuis les vêtements chauds arrivant le premier soir des expulsions à la Vache Rit pour les expulsés n’ayant plus rien de sec, les légumes et autres nourritures en abondance, jusqu’aux matériaux et outils de la reconstruction, soutiens qui continuent à affluer sans mollir sur les lieux. Permanences d’orientation à Notre Dame organisées par l’Acipa. Soutien de toutes les personnes qui participent régulièrement à l’entretien du linge (trier, emmener, laver, sécher, ramener...). Soutien financier. Soutien aussi par l’énorme manifestation de réoccupation (manifestation qui n’était ni un baroud d’honneur, ni une quelconque déambulation dans la campagne, mais la participation à la réoccupation illégale, mais parfaitement légitime, de la Châtaigneraie, par des dizaines de milliers de personnes dont un grand nombre n’avait probablement jamais fait d’actions illégales...). Soutien de centaines de personnes face aux flics dans la forêt de Rohanne les 24 et 25 novembre ! Soutien qui lui-même participe à l’évolution du rapport de force en faveur de la résistance, la nourrit, la protège, lui donne une nouvelle dimension. Le cordon de tracteurs (des tracteurs, pas des tanks !) enchaînés les uns aux autres qui entoure et protège désormais les constructions de la Châtaigneraie est le symbole et le moyen concret de l’engagement du monde agricole bien au-delà des communes concernées par le projet (l’incrustration des tracteurs sur le site aussi longtemps que nécessaire, a été adoptée par ceux dont c’est l’outil de travail, et l’entr’aide s’est mise en place pour pallier les manques). Ce cordon semble d’ailleurs poser un fameux problème : tant politique (c’est plus difficile de taper sur les ’bons’ paysans, le pouvoir n’a pas encore compris que ses tentatives de division ne marchent pas !) que pratique : extirper les dits-tracteurs, apparemment, pour l’instant, ils ne savent pas vraiment comment faire... Soutien encore, et avec quel enthousiasme, des centaines (des milliers) de personnes venues de partout aider à la protection de ce territoire, à reconstruire. Soutien par la création des de tous ces Collectifs (ou comités) locaux Notre Dame, qui se sont rassemblés pour la première fois ce WE ici (à l’initiative de l’Acipa et d’occupants de la ZAD), avec l’enthousiasme des actions déjà menées et à venir, réfléchissant ensemble à la construction des futures mobilisations. Le soutien à la création de ces comités, les déplacements éventuels pour réunions de création (à leur demande) sont aussi des actions... non-violentes. Soutien, enfin, de tous ces collectifs, coordinations ..., en France, en Europe et dans le monde, qui continuent à tisser des liens contre les Grands Projets Inutiles Imposés, pour mettre en commun leurs analyses, réfléchir sur les victoires et échecs passés, sur les victoires à venir et les modes de lutte à mettre en place, sur le soutien mutuel qu’ils peuvent s’apporter.

La lutte de Notre Dame des landes a été active dans ce mouvement, et continuera à l’être, tant il est vrai que nous nous renforçons mutuellement de nos combats. Tous ces soutiens valident non seulement la pertinence de cette défense du territoire et des habitants de la ZAD, par eux mêmes et par leurs soutiens, mais aussi celle des modes d’actions pluriels de cette défense.

Au vu de tout ceci, peut-être, après l’abandon du projet d’aéroport (première étape vers d’autres victoires, car ce sera le début d’autres solutions à inventer au niveau foncier, remise en culture...) cette rébellion citoyenne gardera-t-elle l’image d’un combat véritablement non-violent : je ne le dis pas pour accaparer notre future ’victoire’ au nom ou au profit de la non violence, ni pour disqualifier l’engagement de ceux qui affirment d’autres choix philosophiques ou pratiques. Au delà de nos différences, nous partageons l’objectif d’arrêt du projet, nous nous battons ensemble, inventant collectivement des modes d’action. Si une expression d’un article (résistance toujours non- violente) a pu choquer certains, j’espère que ce texte précisera ma pensée, sur laquelle je n’ai pas d’ailleurs d’absolue certitude ; nous pouvons et devons continuer à discuter sur nos modes de luttes, sans que l’attente du résultat de ces échanges nous paralysent dans l’action commune.

Ce que nos ennemis n’ont pas réussi à faire, nous diviser, ne le réalisons pas nous-même !

Geneviève Coiffard-Grosdoy 17 décembre 2012