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mercredi 9 mai 2018
Apiculture en contexte de guérilla bocagère
Depuis lundi 9 avril, nos nuits sont découpés par le son des grenades, le projecteur de l’hélicoptère, l’odeur des gazs. En pleine floraison du printemps, le bocage est envahi par un nuage épais et constant de lacrymogène. Situées en plein milieu de l’invasion policière, entre la D281 et la barricade à coté des vraies rouges, mes ruches produiront certainement un miel pimenté cette année ! En plein sommeil ou au milieu des affrontements, je ne peux déloger certaines questions de mon cerveau : existe-t-il une étude scientifique concernant les effets du gaz CS sur les abeilles ? Quel est l’impact des détonations des F4 sur leur santé ? Le conducteur du tractopelle est-il assez stupide pour détruire les ruches ? Dans quel état vais-je retrouver mes ruches posées aux 100 noms ?
Dans la nuit, nous partons à 6 dans une fourgonnettes pour une mission d’exfiltration. Je construis deux brancards à ruches, nous prenons des bottes, des sangles, l’enfumoir, des vareuses, des frontales et des talkies-walkies. Nous faisons un point avant de partir. Passage au poste télécom, demande à la Cibi « : y-a-t-il des flics aux Ardillères ? ». Pas d’infos. Devons nous faire le tour en évitant tous les bourgs, les contrôles de flics et les barricades ou pouvons nous y aller directement ? Nous décidons de la tenter par la D281. Emile et Sam partent en éclaireur devant, je coupe les feux et le moteur pour ne pas être repéré. Un appel au talkie « Ici Reine, à Frelon, la voix est libre ».
Nous traversons donc la fameuse Route des Chicanes. Sujet principal de l’histoire racontée par la préfecture, la destruction de la moitié de la zad a été justifiée par « le rétablissement de l’état de droit passe par le dégagement et la remise en circulation des routes ». Occupée toute la journée par des centaines de bleus, c’est aujourd’hui la seule route sans chicane de toute la zad ! Sans les planchettes, les barricades de l’épine, Lama Faché ou l’épicerie du Sabot, nous nous sentons perdu sur cette route, nous ne reconnaissons plus rien. L’ancien village routier est redevenu une banale départementale avec ses fossés et ses buses d’entrées de champ . Arrivés devant les 100 Noms, nous partons fermer les ruches en traversant la bouillasse de l’entrée de champ due à l’écrasement des machines de destructions. Pendant ce temps là, Emile part cacher la camionnette pour échapper au projecteur de l’hélico.
Arrivés devant les ruches, les abeilles sont en grand nombre dehors. Elles grouillent et ventilent sur la planche d’envol alors que nous sommes en pleine nuit. Tentent-elles de repousser les effluves des gazs de l’intérieur des ruches ? Je prends du temps pour boucher les entrées sans les brusquer. Une lumière dans la nuit. Chut, on se tait, on éteint les frontales, on éteint les talkies. Ces derniers jours, des patrouilles de flics rodaient dans les champs, quelques fois avec des chiens pour interpeller des camarades. Ce n’est que Lucien, habitant des 100 noms qui profite lui aussi d’un moment d’accalmie pour récupérer des affaires dans les décombres de sa maison. Quelques piqûres plus tard, « Ici Reine, à Frelon, les ruches sont prêtes à être embarquées. ». Nous voyons arriver la camionnette planquée dans un chemin perpendiculaire à la d281, « - Tu te rends compte, je me suis garé dans la zone non-motorisée ! -Vu la situation, je pense qu’on nous en voudra pas... ». Nous sortons les abeilles de la zone. « - Et si on nous arrête sur le trajet ? - Qu’ils ouvrent les ruches, on va bien se marrer ! ». Nous les posons chez un complice, a quelques kilomètres de la zone et rentrons chez nous à 2h du matin.
Sachant les ruches en sécurité, je pars me coucher moins angoissé, même si je ne sais pas encore dans quelle état elles sont.
Deux jours plus tard, je pars les visiter. Je suis rassuré, leur attitude est plus calme. Et surtout, les cadres débordent de nectar frais, de larves et de pollen. Tellement populeuses, je décide de les multiplier : les 4 essaims en donneront 8. A l’image de la ZAD ces derniers jours. Malgré les blindés et les drones, les destructions de nos maisons, les arrestations et les tabassages, les soutiens ne cessent d’affluer, les actions de soutiens se multiplient et la reconstruction de nos maisons n’est qu’une affaire de temps… Des essaimeurs de la ZAD