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Lettre d’un #GiletJaune italien à tous les gilets jaunes de France. Le gouvernement italien soutient-il notre combat ?

vendredi 11 janvier 2019

[Repris de la Plateforme d’enquêtes militantes : http://www.platenqmil.com/blog/2019/01/10/lettre-dun-giletjaune-italien-a-tous-les-gilets-jaunes-de-france-le-gouvernement-italien-soutient-il-notre-combat]

Nous relayons la lettre d’un #giletjauneitalien à tous les gilets jaunes français après les annonces de soutien aux gilets jaunes de la part du leader du Mouvement Cinq Etoiles, Luigi di Maio, vice-président du gouvernement italien. Il s’agit d’une lettre qui dénonce une telle tentative de récupération. La trajectoire du Mouvement Cinq Etoile - né comme force de rupture et devenu à son tour establishment - est très instructive pour les gilets jaunes.

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Chers gilets jaunes, chers camarades de lutte,

Je suis un travailleur italien qui habite en France depuis quelques années et qui a pris part au mouvement des gilets jaunes depuis le début. Je vis en France car, comme de nombreux autres travailleurs du Sud de l’Europe, italiens, espagnols, grecs, portugais, je suis émigré à cause des politiques d’austérité. Dans mon pays, les politiques néolibérales et les restrictions budgétaires sont arrivées bien plus tôt qu’en France, juste après la crise de 2008. Ces politiques, comme vous le savez, n’ont produit que plus de chômage, plus de précarité et plus de privatisations des services publics : des hôpitaux, des écoles, des universités. L’effondrement du Pont Morandi à Gênes l’été dernier, en est le bien triste symbole. Les politiques d’austérité brisent la cohésion sociale, enferment dans la solitude et l’isolement et alimentent la guerre parmi les pauvres. Comme vous le savez bien, c’est une véritable guerre sociale qui a été menée par les élites ces dernières années à l’échelle européenne. Cette guerre, qui a commencé dans les pays du sud de l’Europe, est maintenant arrivée en France par l’intermédiaire de Macron.

J’ai participé à tous les Actes du mouvement, y compris pendant la période de Noël : j’ai toujours été là ! J’ai découvert un mouvement extraordinaire ouvert à tout le monde, peu importe la nationalité ou la couleur de la peau. Ça a été pour moi un Noël exceptionnel, celui de 2018 : je l’ai passé avec vous sur les blocages et dans les rues de Paris, les samedis et la nuit du réveillon sur les Champs Élysées. Samedi dernier, j’étais encore dans la rue avec vous pour l’Acte VIII, et j’y serai les prochaines semaines, jusqu’à notre victoire.

J’ai découvert, pendant ces huit semaines de lutte et de révolte populaire, le sens des mots solidarité, fraternité, liberté, égalité, démocratie. La lutte des gilets jaunes va bien au-delà de la France. Si nous réussissons à vaincre en France, le pays où la révolution est née, les gilets jaunes pourrons vaincre aussi ailleurs, en suivant notre exemple.

Les médias français ne parlent pas beaucoup du fait que les gilets jaunes sont déjà en train d’apparaître dans d’autres régions et pays, avec une auto-organisation par le bas : dans les Pays Basques, la Catalogne, en Belgique, aux Pays Bas, en Allemagne, en Grèce, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Par contre, ils parlent du soutien envers les gilets jaunes que les gouvernants et politiciens d’autres pays expriment.

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J’ai lu hier dans les journaux français que le vice-président du gouvernement italien, et leader du Mouvement Cinq Etoiles, Luigi di Maio, avait exprimé son soutien au mouvement des gilets jaunes. Les médias français ont mis en avant cette nouvelle. Pourquoi ? Pourquoi un acte de propagande de la part d’un politicard italien a-t-il été repris et souligné avec insistance par les médias français ? Pourquoi les médias français ne parlent-t-ils pas de tous les citoyens européens qui soutiennent les gilets jaunes et qui veulent suivre leur exemple ? Ça les intéresse de parler de Di Maio, de Salvini, d’Assad, de Poutine pour brouiller l’image du mouvement, pour montrer à l’opinion publique que les gilets jaunes ne sont pas indépendants, qu’ils sont pilotés et manipulés par les gouvernements d’autres pays ou par quelque complot international fantomatique.

Il s’agit de la dernière falsification des médias : après avoir accusé le mouvement de racisme et d’antisémitisme, après avoir soutenu que sa revendication principale concernait le « mariage pour tous », ils essaient maintenant d’insinuer que le mouvement est guidé par des pays étrangers et des gouvernements populistes. Tout ça nous fait doucement rigoler ! Continuons à lutter et à bloquer le pays ! Le fait qu’on parle toujours plus des gilets jaunes à l’étranger est tout simplement un signe de la force de notre lutte.

En tant que citoyen d’origine italienne je veux ajouter une chose sur Luigi Di Maio, le vice-président de « mon » gouvernement. Pourquoi ce bonhomme qui porte le costard et la cravate – même quand il dort – déclare-t-il qu’il soutient les gilets jaunes et qu’il veut mettre la plateforme numérique Rousseau à disposition du mouvement ? Pourquoi Di Maio n’a-t-il pas prononcé un seul mot sur les gilets jaunes pendant huit semaines, et se met tout d’un coup à en parler ? La réponse est simple : Di Maio ne fait plus consensus et manque désormais de légitimité en Italie, car il a trahi son peuple dans la négociation avec l’Europe et n’a pas maintenu ses promesses électorales. Di Maio fait l’éloge des Gilets Jaunes parce qu’il sait que les citoyens italiens soutiennent le mouvement français. Il essaie de s’approprier le consensus des italiens en faisant l’éloge des gilets jaunes.

Di Maio est un imposteur, un menteur, un manipulateur. Ses électeurs ne vont pas lui pardonner la manière dont il a trahi les principales promesses qu’il avait tenues pendant sa campagne électorale. Di Maio disait vouloir défendre le patrimoine public et les biens communs en Italie, mais dans les négociations avec Bruxelles il a mis sur la table la vente du patrimoine public italien aux privés, pour une valeur de 16 milliards : immeubles, terrains de propriété publique, biens d’importance historique et culturelle. Et vous connaissez très bien toute l’importance du patrimoine historique et culturel italien. Avant les élections, Di Maio disait vouloir mettre un frein aux « grands projets inutiles » comme le viaduc dans les Puouilles qui est en train de ravager le territoire et les plages de cette région magnifique, ou comme le « Terzo Valico » en Ligurie. Mais lui et Salvini ont décidé de poursuivre la dévastation des beautés du territoire italien.

Comme les vieux politicards, ces « nouveaux » politicards du gouvernement italien ont poursuivi une politique de privatisation des biens et des services publics. Di Maio avait promis, contre la pauvreté, le revenu de citoyenneté. Mais il a approuvé une mesure d’assistanat humiliante pour les chômeurs italiens. Di Maio et Salvini disaient vouloir réduire la pression fiscale en Italie, mais il n’y a pas eu le moindre changement en ce sens. Di Maio et Salvini disaient qu’ils refuseraient de respecter les restrictions budgétaires imposées par Bruxelles, pour pouvoir relancer les politiques d’investissement et soutenir le travail en Italie. À la première menace de Bruxelles, ils ont pourtant immédiatement cédé, pour la simple raison que ce sont des imposteurs.

La plateforme numérique Rousseau que Di Maio voudrait mettre à disposition des gilets jaunes est tout simplement une arnaque. Le simple fait de croire que notre mouvement en a besoin est une insulte aux gilets jaunes. La plateforme Rousseau est contraire à l’esprit de partage et de liberté du net. Malgré son nom, elle ne favorise pas la participation directe, son code et son algorithme n’étant ni libres ni à la disposition de tous. Elle est la propriété privée d’une firme, la Casaleggio Associati, qui a pris en otage les encartés au Mouvement Cinq Etoiles. Macron et Di Maio, bien qu’ils se présentent comme deux figures opposées, partagent le même rêve de faire de la France et de l’Italie une start-up nation ! Le mouvement des gilets jaunes, par contre, a démontré qu’il était capable de s’auto-organiser online, d’utiliser des canaux de communication indépendants pour organiser chaque Acte, pour prendre des décisions collectives, pour rédiger des listes de revendications. Nous avons fait un usage conscient et collectif des outils du net. Non, nous n’avons pas besoin d’une plateforme qui porte le nom de « Rousseau » pour usurper la démocratie directe et piéger les citoyens !

Di Maio a toujours déclaré que s’il n’y avait pas eu le Mouvement Cinq Étoiles en Italie, il y aurait eu une révolution. Di Maio craint la révolution et il a toujours pris le parti de la police quand les citoyens ne respectaient pas ce que leur imposaient le Ministre des affaires Intérieures et les Préfets. Le Mouvement Cinq Etoiles a récupéré et instrumentalisé le sentiment de ras-le-bol des citoyens italiens vis-à-vis du vieux système politique corrompu, en leur donnant l’illusion de pouvoir changer le pays par voie électorale. Mais nous, les gilets jaunes, nous savons très bien qu’on ne peut pas changer grand-chose par la seule voie des élections ! et que celles et ceux qui voudront représenter les gilets jaunes aux prochaines élections européennes seront des manipulateurs !

Di Maio disait vouloir introduire en Italie la démocratie directe, et pourtant, dès qu’il a rejoint le gouvernement il a fait un compromis typiquement « vieille politique » avec Matteo Salvini, un autre politicard professionnel qui fait de la politique depuis plus de vingt ans, aux frais des contribuables italiens. Salvini appartient à un parti caméléon qui, il y a quelques années seulement, prêchait pour la séparation du Nord (riche) de l’Italie à l’égard du Sud (pauvre), et qui aujourd’hui, soudainement, se fait l’apôtre de l’unité du pays, en s’attaquant aux plus pauvres, en renforçant le racisme d’État et en fermant les ports.

La parabole italienne est utile pour nous, gilets jaunes, pour une raison notamment. Elle nous montre bien qu’en Europe nous avons deux ennemis à combattre : d’un côté, les élites néolibérales de Bruxelles et leurs représentants en France et ailleurs ; de l’autre, les faux tribuns de la plèbe, qui défendent la démocratie directe pour piéger les citoyens européens et pour les illusionner.

Refusons la récupération politique, d’où qu’elle vienne !