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C’est quoi la ZAD ?

jeudi 7 janvier 2016

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La ZAD de Notre-Dame-des-Landes est un foyer de lutte depuis plusieurs années, et dans la suite d’autres ZAD se sont créées un peu partout. Mais qu’est-ce qu’une ZAD ? Beaucoup de personnes qui y sont impliquées semblent faire comme si c’était une évidence, mais c’est une question qui ne se pose presque jamais. Et lors des rares discussions qui ont lieu sur cette question, ce qui semble faire évidence pour chacun-e se révèle souvent contradictoire. Alors c’est une question qu’on a envie de poser à celles et ceux qui se réapproprient ce mot, et pour commencer, à nous mêmes.

L’auteur de ce texte est un groupe de personnes qui vivent et luttent sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes depuis plusieurs années et qui a décidé de passer du temps à réfléchir à cette question de ce qu’était une ZAD pour nous. Ce qu’on va raconter ici, c’est notre réponse à cette question : une réponse subjective qu’on ne pense pas être la seule. On aimerait que vous la preniez comme une invitation à se poser cette question avec celles et ceux avec qui vous brassez des bouts de vie et/ou de lutte. On espère avoir des échos de vos réponses, comme autant de définitions des ZAD qui pourraient poser les bases d’un mouvement qui attend encore qu’on lui donne une consistance.

On a pris comme point de départ de nos réflexions ce qu’est pour nous la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, celle que nous connaissons le mieux, mais aussi la première dans le temps.

L’action directe

Pour nous un des faits qui différencie la ZAD des autres endroits c’est qu’elle est issue de l’action directe et la soutient. Ça n’est pas forcément une action masquée ou risquée. Le fait d’habiter la ZAD est lui-même une action directe. C’est beau quand le rapport de force est tel que l’occupation de terre est devenu quelque chose de « normal », d’anodin et puisse avoir lieu sans complications. Squatter un endroit où il y a un grand projet d’infrastructure à la campagne est une partie intégrante de ce qu’est la ZAD ici.

L’action directe c’est des actes, souvent en groupe, pour lutter directement contre une situation qui affecte nos vies ou celles des autres : sans demander à un intermédiaire (syndicats, partis politiques, gouvernements, ou autres autorités « compétentes ») d’intervenir. Par exemple, faire une manifestation contre Vinci (le concessionnaire du projet d’aéroport) serait une action symbolique, mais aller chez eux, bloquer les entrées et que personne ne puisse travailler, ça devient une action directe. Il peut aussi s’agir d’empêcher des bulldozers d’avancer au cours d’une expulsion ou de travaux, occuper et cultiver un terrain, cramer une préfecture, barricader une route ou planter un verger à cinquante sur un terrain voué au bétonnage. Dans un monde qui nous fait se sentir impuissant‑e‑s, c’est un moyen de reprendre nos vies en main.

Ceci passe bien souvent par l’illégalité, la ZAD n’aurait jamais existé légalement. On ne reconnaît pas à l’état la légitimité de décider pour nous ce qui est permis. Ce qui est souhaitable pour l’état c’est le contrôle et le maintien de l’ordre, d’où l’intérêt d’interdire tout ce qui est hors de leur domaine. Comme nos désirs sont en conflit avec les intérêts de l’état, l’illégalité c’est une réalité ici et souvent nos tactiques sont illégales. Ce n’est pas pour autant une fin en soi. Il existe dans cette lutte une diversité de tactiques : des recours juridiques, des sabotages de pelleteuses, des résistances des habitant-e-s aux expropriations de maisons et de fermes par l’état, des expropriations de supermarchés, des grandes manifestations, des guet-apens à la police... Cette diversité c’est la force de cette lutte, et qu’une action soit interdite ou pas ne la rend pas plus légitime.

Les médias parlent souvent de la non-violence et de la violence en leur assignant des valeurs morales : il est sous-entendu que la « violence » c’est mal, quand la « violence » dont illes parlent consiste à se défendre face aux flics ou de faire des dégâts matériels. Pour nous la violence est du côté de l’état et des décideurs, à travers l’aménagement du territoire par exemple. Malgré les efforts pour diviser le mouvement entre « les bons » et « les mauvais », une personne peut à la fois faire de l’agriculture et se confronter avec la po­lice. Étiqueter les personnes qui se révoltent comme violent‑e‑s est une tentative de décrédibilisation de la part de l’état et des médias.

Construire une autre réalité

Un aspect important d’une ZAD est l’idée de construire une autre réalité, où nous sommes moins dépendant-e-s de l’État et du capitalisme. Vivre ici veut dire apprendre à se débrouiller avec ce que nous avons ou à trouver ce que nous n’avons pas sans devoir s’appuyer sur des professionnel-le-s ou sur des expert-e-s. Nous n’appelons pas un électricien pour un problème parce que si nous avons l’électricité c’est pas réglo : soit on la produit nous mêmes, soit c’est branché illégalement. Pour certain-e-s, c’est quelque chose d’important politiquement de savoir que nous pouvons construire nos maisons avec ce qu’on trouve dans les déchetteries et tout réparer avec de la ficelle bleue agricole. Pour d ’autres, il s’agit de prendre le temps et de se donner les moyens de couper du bois et de fabriquer nos poutres pour construire. Dans tous les cas, apprendre à être plus autonomes pour des choses pratiques, c’est se défendre contre un système qui veut nous rendre dépendant-e-s. Il ne s’agit pas que chaque personne sache tout faire, mais de s’entraider et de partager nos connaissances et nos ressources pour nous débrouiller ensemble.

Nous habitons au quotidien sur la zone et donc nous essayons de créer le niveau de confort dont nous avons besoin pour nous sentir bien. C’est aussi lié à une envie de se projeter à long terme, d’habiter en permanence ici. Pour beaucoup de gens, la ZAD ce n’est pas seulement une action directe ou une façon de montrer ses idéaux ; c’est aussi leur vie et leur « chez elles-eux ». On sait que nos maisons et nos potagers pourraient être détruits et qu’on va peut-être être forcé-e-s à partir, mais on vit et on s’organise aussi comme si on pouvait rester ici toutes nos vies : on ne veut pas s’empêcher de faire des choses parce qu’illes pourraient nous expulser.

Nous ne sommes pas simplement contre le gouvernement, mais nous voulons aussi créer quelque chose qui nous convienne mieux. La ZAD est un endroit qui est géré par les personnes qui y vivent et qui décident ce qui s’y passe : l’état n’a plus rien à dire. De la même façon qu’on ne veut pas suivre les réglementations officielles pour la construction de nos maisons, on veut décider pour tout, et aussi pour ce qui concerne notre façon de s’organiser.

Une communauté ouverte

Celles et ceux qui vivent et luttent sur la ZAD partagent un certain nombre de vécus communs : habiter un même espace ; être confronté-e-s à des embrouilles quand des flics ou d’autres fachos en herbe viennent y faire une descente ; se côtoyer au quotidien. Il y a aussi une solidarité et une entraide dans la vie de tous les jours, que ce soit par des coups de mains, le prêt de ce que le-la voisin‑e n’a pas, le partage de ce qu’on cultive ou qu’on récupère, etc. Tout cela ne se fait souvent pas sans accrocs, mais lie malgré tout les habitant-e-s de la ZAD. Elle est ainsi, moins par choix que de fait, une forme de communauté.

Mais la ZAD n’en reste pas moins ouverte. Chacun-e peut, s’ille le souhaite, venir y passer quelques jours ou quelques semaines. Chaque collectif de vie ne va pas forcément ouvrir grand ses portes, mais la ZAD dans son ensemble est accessible à quiconque, même s’ille ne connaît personne et vient d’une toute autre culture. Souvent, les squats ou les groupes qui font de l’action directe ne sont pas faciles d’accès (par exemple parce que ce sont des groupes d’ami-e-s ou pour des raisons de sécurité). C’est l’une des forces de la ZAD d’être une porte ouverte vers d’autres possibilités de vie et de lutte que celle qu’impose le modèle socio-économique dominant. Elles jouent ainsi le rôle de moment ou de lieu de rencontres qu’ont souvent les mouvement sociaux.

La ZAD agrège plein de gens issu-e-s de mondes très différents : des milieux militants ou activistes, qui ont grandi dans le coin, venu‑e‑s des squats en ville, de la rue, du milieu paysan, qui ont lâché leur travail salarié, ou rien de tout ça, ou même tout ça en même temps. Tous ces gens qui partagent un espace et vivent et luttent ensemble, ça fait un gros bordel, mais aussi et surtout une grande richesse. Alors que ce monde tend à nous isoler, partager un espace et fonctionner avec toute sorte de gens est déjà une victoire qui nous donne de l’inspiration.

Cette ouverture et cette diversité font de la ZAD un lieu de rencontres, un carrefour des luttes : des nomades qui font le lien entre plein de lieux y côtoient des personnes enracinées qui portent des projets à long terme ; des gens y trouvent une base stable à partir de laquelle prendre des risques ailleurs ; des groupes déjà constitués s’y donnent rendez-vous ; des inconnu‑e‑s y tissent des complicités.

Mais la ZAD est aussi ancrée dans le territoire : le lien avec les habitant‑e‑s « historiques », celles et ceux qui étaient là avant le projet et qui s’y sont souvent opposé‑e‑s les premier‑e‑s est l’une de grandes forces de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. C’est un groupe d’habitant‑e‑s qui résistent qui ont lancé un appel à occupation, auquel des gens venu-e-s de plus loin ont répondu. Ces liens, cette entraide ou ces coups de gueule qui se partagent sur la ZAD impliquent aussi les habitant‑e‑s « historiques », de la ZAD ou d’un peu plus loin. Les occupant‑e‑s sont venu‑e‑s progressivement renforcer une lutte locale qui existait depuis des années.

Des idées partagées

Derrière nos façons de vivre, de lutter, ou de construire nos relations, il y a quelques idées qui nous semblent largement partagées. On ne s’est jamais tou‑te‑s mis-es d’accord dessus, mais certaines nous semblent bien présentes comme des idéaux auxquels on aspire.

En s’opposant à un projet d’aéroport, on lutte au fond contre l’aménagement du territoire, c’est à dire le fait que la vie des gens est décidée en avance par des ingénieurs et des architectes qui vont imposer aux autres où seront des commerces, les logements, les aéroports, etc. Illes veulent des espaces où tout est contrôlé, surveillé et planifié. Dès ses débuts, le mouvement d’occupation a lutté non seulement contre le projet d’aéroport, mais aussi contre la logique gestionnaire des puissant‑e‑s.

Dans le monde des aménageurs, la plupart des échanges se font par le biais de l’argent. Le système en vigueur fait s’enrichir quelques privilégié‑e‑s en appauvrissant tou‑te‑s les autres. On souhaite à la fois faire s’écrouler ce système et créer des échanges qui ne soient pas basés sur l’argent.

Plus généralement, on aspire à s’écarter des logiques de domination qui donnent plus de valeur et de pouvoir à certaines personnes plutôt qu’à d’autres : avec ou sans papiers, hommes ou femmes ou autres, personnes blanches ou pas, hétérosexuel‑le‑s, homosexuel‑le‑s ou autres, « français‑e‑s » ou étranger‑e‑s. Ces inégalités existent aussi sur la ZAD, mais il y a des tentatives de la rendre vivable pour tou-te-s.

Enfin, on ne reconnaît pas à l’état ni à quiconque l’autorité de décider ce qu’on doit vivre. On tente de s’organiser pour la vie et la lutte sur la ZAD sans hiérarchies, en donnant le même pouvoir à chacun-e-s. C’est pas quelque chose qui marche comme sur des roulettes mais plutôt des débats et une recherche permanente.

Un mouvement qui s’élargit

Après l’opération César, plein d’énergies ont convergé vers la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Beaucoup d’entre nous ont eu envie que cette énergie ne se focalise pas sur Notre-Dame. Ça rappelle l’image d’un rhizome où cette énergie se concentrerait, se croiserait, se réveillerait ici pour ensuite nourrir la lutte partout comme un rayonnement. L’idée serait que les gens qui luttent dans leur coin contre des projets d’infrastructure, de métropole, d’aménagement du territoire, puissent utiliser la ZAD comme un exemple : comme une idée, une image, qui peut permettre de sauter une étape, de profiter de la médiatisation de cette lutte, et de faire un raccourci au lieu d’expliquer plein de concepts abstraits. Que « la ZAD » fasse partie d’un imaginaire partagé largement, ça aide les gens qui veulent agir localement contre les mêmes forces à leur façon. On espère que ça participe à briser l’image d’une société dite démocratique, et à ce qu’on soit nombreuses et partout à lutter.

Il y a des conditions réunies ici, comme le peu d’interventions policières et étatiques, des terrains cultivables ou un désir de vivre sans hiérarchie qui sont peu courantes. La vie qui se crée à partir de cette intersection de conditions donne une idée parmi des milliers d’autres d’une possibilité d’avenir. Ce n’est pas une vitrine alternative – parce qu’on ne crée pas la ZAD pour prouver quoi que ce soit, mais pour le vivre – pourtant elle montre concrètement que c’est possible d’organiser nos vies par nous-mêmes.

L’idée de ZAD semble avoir la force de rassembler, de fédérer des groupes et individu-e-s dans des dynamiques de luttes. Un mouvement de ZAD semble en train de se créer un peu partout – Roybon, Testet, Agen, Echillais, Oléron, et toujours des nouvelles... Réfléchissons aux pièges qui se présentent couramment : à l’action des partis politiques qui manœuvrent dans ces mouvements d’opposition à des fins politiciennes, à l’idéalisation d’un « mode de vie zadiste » dépourvu de convictions politiques, à la criminalisation des mouvements qui vident les actes de leur sens, ou encore à la demande aux opposant-e-s de proposer une alternative viable. Ce qui empêche une remise en question globale et réduit chaque problématique à des questions techniques ou juridiques... Il est temps qu’on pense ensemble ce qu’on porte pour éviter la dépolitisation et la récupération par l’État et ses sbires et construire une identité de lutte révolutionnaire.

Quelques occupant-e-s de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes,

juillet – août 2015

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