Zone A Défendre
Tritons crété-e-s contre béton armé

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Témoignage reçu le 26 octobre

vendredi 26 octobre 2012

Vendredi 26 Octobre

Ca fait 10 jours que l’état français a lancé son attaque contre la Zone A Défendre de Notre-dame des Landes. Pas seulement contre nous, les squatteur-euse-s, mais contre tout ce qui vit sur la zone, humain ou non, animal ou végétal, occupant-e légal-e ou illégal-e, opposant-e ou non à l’aéroport. Les médias, les nôtres et ceux du capital, ont publié masse d’articles et de documents sur l’expulsion des habitats squattés ; mais parmi les maisons détruites ces derniers jours, il y’en a qui étaient habitées jusqu’à tout récemment par des locataires tout ce qu’il y’a de plus en règle, expulsé-e-s poliment et de manière tout à fait officielle de chez eux. Je pense notamment à cette maison du hameau des Fosses Noires, vidée vendredi dernier par le paysan et sa mère qui y habitaient depuis des années, condamnée l’après-midi même sous protection d’une escorte armée, rouverte par des squatteur-euse-s le soir, expulsée par les gendarmes mobiles le surlendemain et détruite dans la même journée. Quand tu passes devant, tu vois plus qu’un terrain vague avec trois bouts de planches.

C’est la même chose à la Sècherie, au Liminbout, à la Gaité, au Planchettes, toutes ces maisons habitées depuis des décennies et rayées de la carte en quelques jours. Sur la prochaine édition des cartes IGN du coin, il n’y aura plus d’indiqué à leur emplacement qu’un bout de champ, comme si rien ni personne n’avait jamais vécu là. En attendant l’aéroport...

Vinci et l’Etat vident la ZAD, ça y est, c’est lancé. Ils sont en train de faire de la zone un désert, et c’est pas tant pour les potes expulsé-e-s ces derners jours ou pour moi qui risque de subir le même sort que je suis triste. C’est pour les gens qui habitaient là avant nous qui ont été foutu-e-s dehors ou qui sont sur le point de l’être, pour les ancien-ne-s qui ont construit ces baraques et ont vécu dedans, pour les millions d’arbres, de plantes et d’animaux qui vont être massacré-e-s ou chassé-e-s si ça continue. C’est pour un lieu de vie qui est sur le point de devenir un gigantesque cimetière de béton.

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Et ouais, aujourd’hui, alors que la tension retombe peu à peu et que la fumée des lacrymos se dissipe, je commence à réaliser que cette lutte, cette zone ont radicalement changé de visage ces dix derniers jours. Mardi 16, le jour où tout a commencé, on était sur le pied de guerre. On avait été prévenu-e-s que la préfecture devait expulser les squats de la ZAD ce jour là, on avait aucune idée de comment ni même de si c’était vrai. On s’était préparé-e-s à ce que cette nuit passée dans nos maisons soit la denière, et à six heures du mat on était nombreuses/eux planqué-e-s dans des buissons à attendre les keufs. Ils sont venus.

L’hélico d’abord, qui te passe au-dessus de la tête dans un bourdonnement d’enfer au milieu de la nuit alors que tu te terres dans un fossé avec des potes, sachant qu’il vous voit probablement sur l’écran de sa caméra thermique. Comme si t’étais dans Apocalypse now. Puis les fourgons de gendarmes mobiles, passant à fond sur la départementale, par dizaines. Un peu partout les barricades ont flambé dans la lueur rouge de l’aube, un geste de rage un peu désespéré contre l’armée qui nous assaillait. Ca ne l’a pas érrêté, on ne l’espérait pas. J’ai passé la matinée à courir en petit groupe de squat en squat dans le bocage, entre les cordons de keufs. A 11 heures on finit par retrouver des camarades regroupées au Sabot. Le Sabot c’est une ancienne friche squatée transformée en immense potager collectif, avec une grande serre et des cabanes d’habitation. Il est toujours là lui, mais on apprend que toutes les maisons en dur sont tombées. Sur la route on est tombé-e-s sur les cabanes de la Bellich, réduites en cendres. Les potes, elleux, vont tou-te-s bien apparemment. Radio Klaxon, la radio pirate de la ZAD, nous apprend qu’à la Paquelais le préfet La Raclure se réjouit d’une opération menée promptement et sans bavure. Connard.

Nous on est toujours là. Les keufs aussi, gendarmes mobiles et CRS en armure. On bloque la départementale avec plein de camarades venu-e-s en soutien. Les keufs aussi. On se regarde en chiens de faïence, on avance et on recule à tour de rôle comme suivant une chorégraphie bien réglée, sentiment d’avoir vécu ce genre de situation trop de fois. Vu qu’il reste encore des squats debout, sentant que la tension est retombée et que c’est le moment d’en profiter, je pars me reposer... C’est dingue de se retrouver là, dans les cabanes des potes, de voir qu’elles sont toujours là... qu’ils n’ont pas rasé la ZAD !

L’aprem s’écoule. Je dors, je somnole. J’entends des détonations venant du Sabot. Là-bas les keufs sont entrés dans le chemin, les potes les en empêchent, cagoulé-e-s et citoyennistes quinquagénaires côte-à-côte. Tout le barda entreposé dans les squats du coin se transforme en barricades érigées à l’arrache. Les détonations, ce sont les lacrymos que les CRS et les (gendarmes) mobiles balancent par centaines sur les copains/ines. Les tirs finissent pas s’arrêter, les flics restent en ligne à l’entrée du chemin et allument un immense projecteur dans notre direction alors que la nuit tombe et que les barricades se renforcent. 300 mètres plus au sud, dans un autre chemin d’accès, même scène. Ils ne partiront que vers 22 heures.

Les deux jours suivants, même état de siège au Sabot avec petit échange de projectiles à l’heure du goûter, les keufs rentrent dans le jardin, piétinent et gazent les carottes, puis repartent. Sensation qu’ils nous occupent là pour faire leur merde ailleurs. Gagné. Mercredi les flics bloquent la route, des engins viennent à la ferme des Planchettes expulsée la veille, qui a été le lieu collectif de tous les squats pendant plusieurs années, avec réserve de bouffe et de tracts collective, accès internet et lieu de réunion. Ils détruisent tout, embarquent jusqu’à la dernière pierre. Celleux d’entre nous qui vont y faire des repérages se heurtent à un cordon serré de mobiles. En une journée l’affaire est pliée, les Planchettes n’ont jamais existé. A la place un espèce de petit champ labouré au bulldozer qui sera recouvert par la végétation avant l’été. En attendant le béton.

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Je m’attarderai pas sur les jours suivants. Moi je suis resté autour du Sabot à guetter les flics qui se montraient de moins en moins, occupés à sécuriser la destruction du reste des maisons vidées et de plusieurs cabanes de potes. Le Sabot et bon nombre de squats sont toujours debout à l’heure actuelle, personne ne peut dire pour combien de temps... Aujourd’hui, pour la première fois depuis 10 jours, on a rien vu d’autre sur la ZAD que les patrouilles de gendarmes habituelles. Pas de destructions ni d’expulsions. Mais la sensation bizarre d’être seul-e-s au milieu d’un champ de ruines.. C’est pas vrai parce qu’il reste des squats et des squatteur/euses, des habitant-e-s hyper chouettes qui résistent à nos côtés. Mais en ces quelques jours c’est tout un pan d’ici qui a été envoyé au néant par le monstre AGO, et on sait tou-te-s que c’est qu’un prémice de ce qu’il nous concocte.

J’ai pas parlé d’une floppé d’actes de résistance durant ces 10 jours : sabotages de chantiers et de véhicules, blocages et destruction de routes... Ca a été hyper classe et ça continue. Je crois qu’on a gagné énormément de trucs, fait des actions qui n’avaient jamais pu être faites ici auparavant, donné à cette lutte une intensité qu’elle n’avait jamais encore eue. Mais militairement, l’état a atteint ses objectifs : tout un pan de la ZAD n’existe plus. A nous de recréer sur ce qui a été détruit. On sera toujours plus de cinglé-e-s à défendre cette terre, à se sentir de plus en plus libres, de plus en plus fort-e-s pour faire ce qui doit être fait pour qu’elle ne soit pas bétonnée. En coupant nos arrières ils nous obligent à aller de l’avant. Peut-être jusqu’à la victoire, peut-être jusqu’à la destruction totale. Je crois qu’on est beaucoup à ne plus en avoir rien à secouer de si ce qu’on fait peut raisonnablement aboutir.

Un grand fuck dans ta face Ayrault. On va t’en faire baver.

Big up pour tous les gens avec qui on s’est tenu chaud ces derniers temps derrière les barricades.

Un squatteur crasseux (nos douches ont été rasées).