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UNE SEULE SOLUTION : RESTER ENSEMBLE !

samedi 24 février 2018

Constatation : ça sent vraiment pas bon, c’est la merde !!! peut être que ça l’est déjà depuis un bail, mais là, j’ai l’impression qu’on arrive à un moment critique, à un moment où on peut tout perdre ; et je parle pas seulement de nos cabanes, de là où on vit, mais de la force de notre mouvement, nos idéaux etc. Ceci n’est pas un texte objectif ; je ne vais pas chercher à exposer tous les points de vue et trouver des torts à tout le monde. Ce texte exprime mes ressentis sur ce que je vis ici depuis quelques mois, mes émotions et mon point de vue personnel.

J’voudrais commencer en parlant de ce que produit la ZAD en nous, les imaginaires et les fantasmes qu’elle fait naître. Le champ des possibles, le pouvoir de faire, la force de subversion (le fait de dénoncer et déstabiliser l’ordre établit), le QG d’une « force libertaire ?, révolutionnaire ?, anarchiste ? Communiste ? », un lieu de refuge. Autant d’idéaux que d’individu-es, autant de positions politiques que de rêves, autant de modes d’actions que d’objectifs. Avec, tout en haut, le credo suprême : « LA FORCE C’EST NOTRE DIVERSITE ».

J’ai cru en plein de choses en arrivant ici en aout 2015, en commençant par imaginer cet endroit comme une zone avec 250 vétérans de 2012, ultra-véners, qui passent l’essentiel de leur journée à faire des coks et préparer des assaults pour tout défoncer en ville........ Bon, autant dire que c’est pas vraiment ça. Plutôt ce que j’ai entendu de la part de celles et ceux qui ont participé/subi aux expulsions 2012 c’est : « en vrai si on a gagné, c’est parce qu’il y avait tellement de modes d’actions différents avec tellement de gens différents, que les keufs ont jamais su comment réagir, et c’était trop stylé ! C’était un moment trop intense et incroyable dans ma vie, mais j’ai tellement pas envie de revivre ça ».

Alors c’est quoi cette diversité ? C’est quoi ce truc avec plein de mondes et de réalités différentes qui veulent faire ensemble ? Et ça j’ai voulu, et je veux y croire. Si ce monde et cette société me donne peu d’espoir, j’aimerais au moins pouvoir croire en ici et en ce que ça représente. Laisse tomber l’émotion quand tu prends ton zad news au matin et plutôt que d’y trouver des messages d’embrouilles, de règlements de compte et de haine, ce sont des messages de soutient qui viennent de plein d’autres endroits dans le monde du genre : « wouah c’est trop bien c’que vous avez réussi a construire sur la ZAD en terme d’expériences agricoles et sociales. Ça serait trop bien si vous pouviez venir chez nous, nous expliquer comment « marche » votre vie en communauté ». Ba sérieux ça m’fout les larmes aux yeux de voir à quel point des gens compte sur ce qui se passe ici, à quel point ça peut être une source d’inspiration et de courage ; et en même temps j’ai grave la honte de voir à quel point on peut passer du temps à se pouiller, à alimenter de la rancœur, à ressasser les embrouilles du passé, à vivre autant dans la défiance les un-es des autres, à continuer à se considérer comme des ennemis.

Au final, je constate que notre mouvement, ce truc qui nous lie jusqu’à l’international, cette position politique de vouloir changer RADICALEMENT ce monde, et pas simplement modifier l’existant par-ci par-là, pour le rendre un peu plus acceptable, est bien une position MINORITAIRE, marginale, fragile. On est très peu, trop peu nombreu-ses. Et on en est là à se diviser soi-même. À critiquer ce que l’autre fait, dénoncer les pratiques qui sont pas les miennes et prouver (pour me rassurer ?) que je serais le/la plus radical-e.

Ouai, j’ai pas arrêté de changer ce que je portais politiquement ici. Sûrement parce que la DIVERSITE d’opinions politiques me faisait trouver du bon, de l’intérêt, de la logique, du respect dans tout ce que j’entendais. Je répète, tout ceci est personnel, mais j’ai trouvé de l’intérêt à remettre en question mes certitudes (qui en fait ne l’étaient pas tant que ça), à me retrouver face à des arguments où j’pouvais pas dire grand chose et surtout, à admettre mes contradictions, que je n’arrive pas à mettre en pratique toutes les choses trop stylées que j’ai pu voir en théorie (d’ailleurs pour info, si des gens cherchent un bon spot pour des vacances : en ce moment, en Théorie, il fait 29° à l’ombre, il n’y a pas de famine, et tout le monde est super sympa). C’est p’tète une facilité (une lâcheté ?), mais j’y arrive mieux, à essayer de faire de mon mieux que d’essayer de faire le mieux, d’avoir la seule solution.

J’ai la chance d’avoir pu rencontrer plein de gens ici, et je kiffe tellement avoir cette possibilité de choisir différentes ambiances, différents contextes, en fonction de gens ; c’est surtout ça ma richesse ici. J’arrive tellement pas à m’imaginer vivre avec juste mon ptit groupe affinitaire dans un squat en ville, ou dans une ferme en campagne. Il me manquerait tellement ça, le fait de côtoyer toute la journée et tous les jours, des gens vraiment différents, qui ne sont pas uniformisé-es, qui se considèrent comme individu-es vivant-es et qui donc, de fait, considèrent les gens autour comme des individu-es vivant-es.

Et bien moi ça me fait mal quand j’entends des phrases hardcore du genre : « ouai ba les gens de l’est, ils ont qu’ça qu’à foutre que d’aller au non-marché. » « pfff mais demande pas une remorque ou quoi que ce soit aux gens de l’ouest. T’habites à l’Est, personne te donnera rien. » « nan j’en ai rien à foutre de la route. Ils voulaient les keufs, ils l’ont bien cherché. » « quoi t’habites au moulin ??? ah nan j’joue pas (de la musique) avec un type du CMDO. » « t’façon les agriculteurs ils nous méprisent. Dès qu’ils auront l’occasion, ils trouveront un prétexte pour dégager nos cabanes et récupérer leurs champs. » « en vrai la majorité des vegan sont casses-couilles » « de toute façon je suis plus fort que toi » « CMDO ce sont juste des appellistes-communistes-staliniens-productivistes-fascistes » « vous êtes des collabos ! » « t’façon les schlag ils s’organisent pas » « en fait, il y en a qui recherchent que ça le conflit et qu’il faut que ça pète à un moment ».

Et puis on en vient aussi à faire des trucs hardcore. Comme sur zone, le mot d’ordre qu’on entend c’est « j’ai l’droit de m’exprimer et de dire ce que je veux », et bien je vais oser poser un truc. Je trouve ça choquant, malhonnête et finalement horrible d’utiliser le décès d’une camarade, une pote, pour appuyer et soutenir ses positions politiques, et surtout de l’exposer le 10 février devant plein de gens qui ne captent pas du tout, ou difficilement, ce qui se passe ici. J’me pose beaucoup de questions sur ce que ça peut signifier et ça m’fait flipper. Mais ça m’fait tout autant flipper de voir qu’on peut démonter une cabane alors qu’il ya un type encore perché en haut, et essayer de le faire descendre par la force en le tirant. Sûrement que cet épisode du démontage de Lama Faché était inévitable, mais j’pense que ça a permis de nous rendre compte de pas mal de choses sur nous mêmes.

Et on en arrive à cet amer sensation de devoir choisir un camp. Avec ce truc du « nous » et « vous ». Mais pourquoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est qui ? Qui alimente ça ? C’est évident que l’on ne veut pas la même chose, qu’on n’a pas les mêmes attentes, les mêmes sensibilités et même carrément la même réalité. Il y aura toujours des gens qui ne sont pas d’accord, et c’est tant mieux. Le problème c’est qu’il n’y a aucune place au débat, ou en tout cas pas dans un objectif de trouver un compromis. L’idée est de faire passer ses idées, et si c’est pas possible, de saborder et décrédibiliser les idées « adverses ». Constater qu’il ya des désaccords d’idées qui mène peu à peu à une division c’est facile. Mais comment on empêche cette division ?

J’ai entendu très souvent, « c’est un problème de fond ; comme on est soit disant tout le temps dans l’urgence, on ne prend jamais le temps de parler du fond » et « on ne se connait pas assez, il faut qu’on fasse des trucs pour se rencontrer ». Mais grave !!!!! Et de dire qu’il faut d’autres espaces de discussions, autre que les réus, pour se rencontrer et échanger. À fond !!!! Mais sans dèc, on peut pas dire qu’il n’y a personne qui s’est penché sur la question, que ça n’existe pas déjà, et sous tellement de formes différentes. Que ce soit les AG, les réus, tous les « petits » espaces de discussions genre « les p’tits matins », les soirées belotte, les soirées concert, les soirées projections, les booms, les fest-noz, les teufs techno, les groupes de cultures et d’élevage, les chantiers collectifs dans les champs pour la bouffe collective, ceux pour des constructions collectives, les chantiers des 4 saisons, la cantine de la ZAD, la Black-Plouc, Abracadabois, l’atelier d’écriture au studio, les ateliers méca, tous les groupes d’artisan-es, radio klaxon, le Zad News, la médic, l’automédia, etc.....Tous ces espaces ont été créés parce qu’à un moment quelqu’un-e s’est dit « j’aimerais bien que ça existe ». Et je pense qu’ici c’est un POUVOIR réel, celui de pouvoir faire, de pouvoir essayer.

Mais si ça pouvait être aussi simple. Depuis que je vis là, j’ai constaté 2 choses très chiantes et qui empêche cette liberté d’entreprendre, de se reconnaître dans ce qu’on fait, de se faire plaisir. Le manque de considération pour celleux qui ne pensent ou ne voient pas les choses comme moi, parce que j’y ai tellement réfléchis que j’comprends pas qu’on puisse remettre en question ce que je propose, que de toute façon ce sont mes convictions politiques, c’est ma lutte personnelle. Il faut que les choses aillent dans mon sens, ou celui de mon groupe affinitaire, et qu’en tout cas il faut avancer, il faut arrêter d’avoir peur, et qu’en fait, on n’a pas l’temps. En gros, des processus d’organisation et de décisions pourris, excluant (voir méprisant), en gros « j’en fais qu’à ma tête ». Puis, l’obsession de vouloir bloquer tous les projets, initiatives, ou même positions politiques qui ne sont pas aussi radicales que les miennes. De ne jamais rechercher le compromis (car c’est collaborer), mettre sur le même pied d’égalité des gens qui habitent ici, qui sont sensés être des camarades (cf début du texte quand je dis qu’on n’est vraiment pas nombreu-ses), avec les pires ordures qu’on combat ouvertement, genre les keufs, Vinci etc. Dire, « moi j’men fous j’suis anarchiste, tout-es celleux qui pensent pas comme moi sont des collabos et des ennemis ». En gros « j’en fais qu’à ma tête ».

Perso, j’ai trop kiffé la première journée des chantiers des 4 saisons en avril 2017. bon déjà il faisait super beau. Mais dans l’idée de répondre au besoin de se rencontrer et de faire des trucs ensemble, j’ai trouvé ça parfait. Juste en une journée, du fait que les chantiers n’étaient pas répartis essentiellement par groupes affinitaires, j’ai pu rencontrer plein de gens. Alors oui, il faut se mettre en jeu, sortir de sa zone de confort, travailler sur sa tolérance et ses a priori ; mais a priori (justement) ça fait pas mal. On a fait ensemble, en essayant de faire attention à tout le monde. On en a chié ensemble. On a entendu, vu et ressenti des trucs chiants, on l’a dit, on a avancer dessus. Bref c’est pas ça l’enjeu ??? être capable de prouver que oui, on peut vivre et faire ensemble, même si on est différent-e, et ce, sans qu’il y ait de flics ou des Lois liberticides pour nous contrôler ??? et ba non !!! Il a fallu entendre que le projet de faire une fontaine au point d’eau de Gourbi était un « immonde projet » pour pas dire dégueulasse, et que « nous sommes Vinci » quand on coule du béton sur la route des fosses noires pour reboucher les trous.....c’est abusé, insultant et tellement gratuit !!!!

(j’trouve ça assez marrant, venant de la part de gens qui critiquent cette société et surtout son caractère réactionnaire à ne pas vouloir évoluer et changer, de voir que le moindre changement à la ZAD, ou le moindre projet, va être descendu, refusé, bloqué, parce que le changement ça impose....ba des changements dans nos vies, nos habitudes, que ça va titiller notre petit paradis personnel qu’on voudrait surtout pas qu’il change. De toujours ramener ça à soit.)

Et justement ! Quand est-ce qu’on en parle de cet « individu VS bien commun » ? A partir de quand mon individualité, mon intégrité, est piétinée par la nécessité de collectif, d’organisation collective ? A partir de quand on reproduit ce qu’on déteste, soit la dictature de la majorité sur la ou les minorités ? A partir de quand, notre excitation à entreprendre ensemble et à faire des trucs de ouf à plusieurs va à l’encontre de la considération de chacun-e, de ses propres attentes, ses ressentis, ses émotions, sa sensibilité ? Mais aussi, à partir de quand mes aspirations personnelles vont totalement à l’encontre de processus collectifs, et qu’une non-volonté de compromis amène obligatoirement à une position d’adversaire, une position conflictuelle. A partir de quand je reconnais cette position, de ne pas vouloir faire ensemble, de ne pas vouloir aller dans le sens des autres. A partir de quand mes choix personnels ont des conséquences sur les gens avec qui je cohabite de fait ? A partir de quand mes choix personnels mettent en danger les autres et je m’en tappe ? A partir de quand, si je reconnais l’importance de mon individualité et que je veux qu’elle soit respectée, je ne respecte pas l’individualité de celleux avec qui je ne partage pas les mêmes positions politiques ? A partir de quand la liberté se transforme en « j’ai le droit de faire ce que je veux » ? A partir de quand Libertaire mène à Libéral ?

Avec tout ce que j’ai pu entendre de part et d’autre, de pertinent, je n’y arrive pas, je ne veux pas choisir un camp. Et pour autant je ne veux pas qu’on me renvoie que je prends des positions « molles », que je veux être pote avec tout le monde, que j’arrête de faire la Suisse, que j’ai le cul entre deux chaises, que je n’arrive pas à faire un choix. Et non !!! j’ai fait un choix !!!! celui d’essayer de prendre en compte tout ce que j’entends justement. Le choix de ne pas croire aveuglément mes potes et de rencontrer des gens qui n’ont pas les mêmes objectifs que moi. Le choix de croire en cette diversité qui comprend plein de gens.......divers (sans déc), et donc de chercher des solutions dans ce sens, pour protéger le plus grand nombre de gens et d’idées, pour que cet espace puisse perdurer, pas en tant que tel (j’en ai strictement rien à battre de sa légalisation), pour continuer de véhiculer des idées politiques RADICALES et REVOLUTIONNAIRES. Et je trouve ça assez triste et affreux d’entendre et de voir toutes les critiques qu’on se fait entre nous à qui sera le/la plus radicale, le/la plus droite dans ses rangers, le/la plus irréprochable.

J’ai fait le choix de reconnaître que même si je me considère chez moi sur cette zone, même si je réclame un espace personnel (privé) pour y dormir, manger et vivre ou je veux pas qu’on me dicte ce que je dois y faire, cette zone ne m’appartient pas, pas plus qu’elle n’appartient à l’Etat, aux totos, aux schlags, aux appelistes, aux paysans, aux citoyennistes, … Elle appartient, et je me bats pour ça, à un ensemble de gens qui s’y reconnaissent, qui croient en son potentiel, qui acceptent de la voir évoluer pourvu qu’elle nous appartienne. J’entends qu’en fonction de ce qu’on obtient pour la ZAD, plein de gens partiront parce qu’ielles ne s’y retrouvent plus politiquement. Ba oui j’comprends c’est normal, mais en quoi c’est triste ? Pourquoi ne pas utiliser toutes ces énergies et ces volontés radicales ailleurs, partout ou on manque cruellement de soutient ? Si on veut que cet endroit soit défendu par tous les moyens légaux et illégaux, il faut qu’il parle au plus grand nombre et donc aller dans le sens aussi de gens qui ne porte pas (ou pas encore) ces positions radicales. IL faut s’adapter. Travailler à s’adapter aux autres. Je n’ai pas peur de perdre notre potentiel subversif et offensif, car c’est en nous, c’est notre essence, c’est ce qu’on est. Personne ne t’empêche de répondre à la presse, de soutenir la réhabilitation de la D281, d’être habillé avec des habits colorés, d’accepter une légalisation de la ZAD, … et de aussi t’organiser avec ton groupe affinitaire pour aller niquer des banques, des commicos, des abattoirs, des chantiers partout, en ton nom, en tant qu’individu et/ou en revendiquant tes actions F.A.I ou F.R.I. Par contre je pense sincèrement que cet endroit offre un espace de rencontres et d’organisations inédit, pour préparer ce genre d’actions. Pourvu qu’il nous appartienne et qu’on ne soit plus sous la menace d’expulsions. Oui arracher ce luxe de pérennité. Le luxe de pouvoir imaginer un avenir pas trop pourri dans ce monde de merde.

Oui ce sont des paris. Des paris qu’on fait avec nos vies, avec nos limites collectives et personnelles. Ah c’est sûr que si on voyait l’avenir on ferait carrément moins d’erreur. Mais ne rien faire, parce que ça conduira forcément à des conséquences chiantes ou peu souhaitables, et attendre, est pour moi déjà une erreur. Je préfère me planter, je préfère être obligé d’admettre que j’ai merdé, que ce que j’ai pu porter politiquement bah c’était un peu de la merde. Je suis prêt à assumer tout ça tant qu’on le fait ENSEMBLE. Tant qu’on reste ENSEMBLE. Les ennemis ils ne sont pas sûr zone (à part les 2 ou 3 potentiel-les infiltré-es qu’on réussira bien par pécho un jour). Même si on doit rester vigilant-es à nos propres merdes, aux prises de pouvoir, aux processus pourris excluant, aux égo surdimensionnés et très mal placés ; les vrais ennemis sont en costard, en uniforme, derrière des bureaux, et du bon coté des barreaux.

Un.e occupant.e de la zad