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A propos du “mépris de classe” sur la ZAD

mardi 23 juillet 2013

juillet 2013

Ce texte naît de plusieurs discussions en non-mixité meufs-gouines-trans au sujet des « embrouilles » qui ont pris de la place ces derniers temps sur la ZAD. Depuis des mois ça nous provoque du malaise et de la colère. Le but de ce texte est de mettre en lumière certains mécanismes qui ne sont pas visibilisés dans les conflits et dans la vie quotidienne et d’y réfléchir pour pouvoir les transformer.

On trouve important de préciser notre position (à nous qu’on écrit le texte) : sur la ZAD, on appartient (pour la plupart d’entre nous) aux dominant.e.s, qu’on le veuille ou non. C’est à dire une catégorie de squatteur/euses plus valorisée dans cette lutte contre l’aéroport (mais on va expliquer ça dans la suite du texte). Comme au sein de notre groupe d’écriture on n’a pas toutes les mêmes positions sociales, ce n’est pas forcement évident de parler entre nous de ces rapports- là. On ne se place pas en dehors des rapports qu’on cherche à décortiquer dans ce texte, on y participe.

Déjà bien avant les expulsions, on pouvait remarquer qu’il existait des différences de légitimité entre les occupant.e.s. Il y a deux ans, y’avait les « gentil.le.s squatteur.euse.s » qui sont là pour lutter contre l’aéroport et son monde, et il y avait les « mauvais.e.s squatteur.euse.s », celleux qui étaient accusé.e.s de « profiter » de cette lutte. Cette distinction se fait aujourd’hui sentir à plus grande échelle ; et depuis cet hiver, ça revient souvent de parler comme si il y avait deux camps bien délimités : « nous » et « eux » (qui ne désigne pas les mêmes personnes selon qui parle). Par exemple on a parlé des conflits entre l’ « Est » et l’ « Ouest » de la Zad, ou de ceux entre la Châtaigne (présenté comme le lieu bourgeois par les un.e.s) et les barricades (présenté comme l’espace des arraché.e.s par les autres). Dès fois ça fait des discussions un peu drôles, où on se fait prendre à partie pour des trucs faits par d’autres gens, vu qu’on a l’air d’être du même « groupe »...

Personne ne prend jamais la peine d’expliquer ce qui sépare le « nous » du « eux ». C’est un peu ça qu’on veut faire ici, mais c’est difficile parce que ça peut être diffus et subtil. On ne veut pas dire ce que sont les gens, on ne veut ni faire comme si ces catégories étaient des vérités ou des réalités, ni donner les caractéristiques « objectives » des deux catégories. Mais on veut décrire des représentations fréquemment véhiculées, des stéréotypes basés sur des inégalités concrètes.

D’un côté on n’a pas envie de donner de l’existence à cette idée de deux sous-groupes. De l’autre, vu que ça existe dans plein de têtes, bah faut bien en causer pour aller gratter ce qui se cache derrière. On va s’attacher ici à décrire les attributs (réels ou supposés) des deux « groupes ». Par facilité, on a choisi de les appeler dans ce texte « petit.e.s bourgeois.e.s » et « arraché.e.s ».

D’un côté, des gens bien placé.e.s dans cette lutte qui veulent pas se reconnaître comme tel.le.s... Commençons par celleux que nous appellerons « petit-e-s bourgeois-e-s ». Bah, déjà, c’est beaucoup les « anciennes squatteuses » et « anciens squatteurs », celles qui sont là plus ou moins depuis le début du mouvement d’occupation, ou ceux qui ont rejoint en cours de route et se sont retrouvés camarades et potes. C’est aussi tous les liens qui ont étés créés ici avec des gens « du coin » depuis un bout de temps : avec les habitant.e.s de longue date, avec les autres composantes de la lutte, plus récemment avec les nouvelles bandes de paysan.ne.s qui passent du temps ici, etc. C’est un peu l’image des « bon.ne.s squatteur.euse.s » : celles qui sont « intégrées », qui sont potes avec les habitants d’avant les occupations, ceux qui sont considérés comme des interlocutrices crédibles par les fameux « historiques » de la lutte : ADECA, ACIPA, Coordination. Parmi les personnes qui se sentent incluses dans ce « groupe », on retrouve différents éléments (ce qui ne veut pas dire que chacune des personnes rempli tous les critères) : plutôt des personnes issues de classes moyennes ou intellectuelles, ayant souvent fait des études universitaires, habituées à s’organiser en réunions ultra-formelles, avec ordre du jour, modération, tour de parole et tout le bordel. Tout le monde vient pas forcément de là, mais en tout cas les gens qui se sentent à l’aise dans ce groupe sont celles qui se sont intégrées dans ces codes. On peut mettre aussi dans ce « groupe » les habitant.e.s de longue date, les autres composantes de la lutte citées plus haut et plus récemment les nouvelles bandes de paysan.ne.s qui passent du temps ici. Bref, des gens qui ont une grosse légitimité, due à leur « ancienneté » ou leurs liens avec la terre parce qu’ils/elles la travaillent (et que c’est quand même quelque chose de valorisé dans cette lutte). Dans ce « groupe », y’a aussi pas mal de moyens matériels, de ressources économiques : des outils, des véhicules, de la thune, des lieux de vie avec connexion internet, des tracteurs, des réseaux d’entraide matérielle développés, etc. Ça peut être aussi des gens qui viennent de classes possédantes, qui ont du patrimoine, qui peuvent avoir la famille derrière (qui a payé des études, un permis de conduire, qui pourra aider financièrement en cas de coup dur), etc...

Une autre caractéristique qu’on voit, c’est de bien aimer une certaine paix sociale : ça le fait pas trop d’élever la voix, de s’énerver, d’insulter, c’est mieux de se parler tranquillement, de manière « constructive » (en tout cas c’est ce qui est fort porté en réunion). Ça peut aussi être une manière de ne pas être familier de la baston, d’être mal à l’aise dès que le ton devient un peu menaçant dans une embrouille.

De l’autre côté, des gens qui dérangent la tranquillité des premiers... Parlons maintenant de celleux qu’on a choisi d’appeler dans ce texte « les arraché.e.s ». Pour dire quelques éléments qu’on voit dans ce « groupe » et qui jouent des inégalités matérielles : ça peut être d’avoir moins d’accès que les « petit.e.s bourgeois.e.s » à des ressources logistiques (matos, véhicule) ou à des coups de mains matériels, que ce soit parce que moins de réseau ou parce que pas envie d’être redevable. Y’a des gens qui viennent plus d’une culture de la rue, qui peuvent se retrouver à faire la manche sur la route, ou qui volent des bagnoles ; des gens qui se trimballent des casseroles juridiques au cul (du sursis, un casier, des interdictions de territoire, etc.). Les personnes de ce « groupe » sont peu présentes dans des structures sur la zad comme les équipes médic et juridique ; et leurs réalités et besoins ne sont pas représentés dans ces structures (par exemple, y’a peu de connaissance sur les traitement de substitution dans l’équipe médic). C’est pas la question de la responsabilité des structures citées, mais de celle de l’ensemble du « mouvement », en terme de préoccupation collective et d’énergie mise. « Les arraché.e.s » sont souvent presenté.e.s par les « petits bourgeois » comme des squatteur.euse.s installées depuis la phase d’expulsion ou plus récemment (même si certain.e.s sont là depuis un bout de temps). Ça concerne certains lieux de vie, pas mal les gens qui traînent sur la D281. Dans l’hiver, ça a été beaucoup cristallisé sur celleux qui font des barricades et des chicanes, qui bloquent la route, qui sont sur le qui-vive par rapport à un potentiel débarquement de keufs. Dans les stéréotypes que ce « groupe » se trimballe, on peut citer l’image de gens tout le temps bourrés, consommant des tas de drogues ; qui ont l’« air » de punks à chiens, de zonards, etc. Aussi celle de « gens qui gueulent tout le temps », qui ne « savent s’exprimer que par la violence » (lié au fait de hausser le ton dans des embrouilles et de faire la menaces ou de mettre des coups). Ça dégage une impression que des bandes entières sont violentes et font peur. C’est ça qui est visibilisé : ça veut dire que quand un « arraché » gueule un coup ou colle un pain, on en parle pendant 2 semaines, alors que si un « petit bourgeois » fait la même, ça passe inaperçu. Ces représentations sont hyper présentes, à tel point qu’on a entendu pas mal de gens s’étonner sincèrement quand certaines personnes qui appartiennent à ce « groupe » ont des comportements qui ne correspondent pas à ces stéréotypes. « X a passé l’après-midi à discuter en buvant un thé à tel endroit » (sous-entendu : « c’est incroyable, il est capable de discuter tranquillement ! »). Ou « Figurez-vous que Z ne boit pas d’alcool et il est en train de construire un four en argile ». Sousentendu : « il est capable de faire quelque chose de ses dix doigts ?! (et en plus il est même pas alcoolique !) ». Comme par hasard, pas mal de valorisation par le travail : les gens peuvent pas être si mauvais que ça si au moins ils savent bosser !

Rapports de classes et mépris

Pour nous, ce qui se joue généralement entre les « arrachés » et les « petits bourgeois » c’est un rapport de pouvoir asymétrique : les petites bourgeoises se considérant comme des personnes plus respectables, plus investies dans la lutte, de « bonnes militantes », bref, des gens avec qui on peut faire des trucs ! Nous, on a envie de parler de rapports sociaux de classe, pas dans le sens bourgeois contre prolétaires, mais dans le sens de deux catégories distinctes, auxquelles on attribue des caractéristiques spécifiques, avec le sous-entendu que y’en a une qui est mieux que l’autre. On pourrait dire que ça vaut dans les deux sens : y’a sûrement pas mal des « arrachées » qui considèrent les « petit.e.s bourgeois.e.s » comme des con.ne.s finies. Sauf que c’est pas symétrique. Parce que dans le monde dans lequel on vit, qui existe sur la ZAD comme ailleurs, bah quand même les « arrachés » (c’est à dire ceux qui ont l’air d’être ça) sont considérés comme des sous-merdes. Y’a un truc de mépris social qui se joue : des gens qui correspondent à une image stéréotypée des « arraché-e-s », et un paquet de gens qui se dit « merde, qu’est ce qu’ils/elles viennent foutre ici à déranger notre petite tranquillité ? ». Pour donner quelques exemple entendu de la bouche de « camarades » (habitants du coin, squatteuses, paysans, etc. ) « quand on passe sur la D281, c’est flippant, les gens ont tous des têtes de tueurs » ; « vermine » ; « gangrène » ; « si telle maison reste vide ça va encore être un endroit où y’a que des gens qui gueulent et qui s’embrouillent » ; etc. Bien sûr, là c’est les exemples qui sont un peu gros. Il y a aussi tous les petits trucs « subtiles » de soupirer quand quelqu’un-e parle, ou juste de pas écouter, de se raidir sur son volant à l’approche des chicanes parce que peur de l’embrouille, de se trouver à 30 à huer quelqu’une parce qu’elle hausse un peu le ton dans une réunion, etc. C’est des gens en train de s’énerver sur celles « qui ont rien à faire là », qui « profitent de la lutte ». Ou ceux qui font des tirades sur « on est pas là pour faire du travail social »... Nous non plus mais qui a dit qu’on avait besoin de faire du « travail social » pour relationner avec nos voisin.e.s ?!? Nous, on dit que c’est pas un hasard. C’est pas parce qu’il y a une difficulté de rencontre entre les « ancien-ne-s » de la ZAD et les « nouvelles/eaux ». C’est pas parce qu’on est « tous/tes différent-e-s » et qu’il nous faut du temps pour se rencontrer et apprendre à s’arranger. C’est parce que des tas de gens venu-e-s s’installer plus ou moins récemment mettent en péril un ordre dominant établi, qu’il y a intérêt à les tenir à l’écart. C’est parce qu’on est produit-e-s par un monde qui stigmatise les gens qui traînent dans la rue, qui tapent la manche (c’est sûr, boire et s’engueuler dans une maison c’est moins visible). C’est parce que des personnes se trainent une image de « zonardes qui foutent la merde » que les personnes dominantes en ont peur. C’est pas un hasard si les comportements, les opinions, les paroles valorisées sont toujours ceux des personnes qui sont dans la position sociale la plus confortable ! Parce qu’occuper une position reconnue socialement, c’est avoir accès à un tas de privilèges (comme être plus écouté ou prise en compte, avoir plus facilement accès à des ressources, se sentir à l’aise et de la prise sur les situations, se sentir légitime, se sentir incluse dans les discours englobants, etc.) C’est pas par hasard si certain-e-s se retrouvent à définir « ce qui se fait » et « ce qui ne se fait pas » ; ce qui est « acceptable » ou non » ! C’est toujours les dominant-e-s dans un rapport social qui ont le pouvoir de définir la morale, de séparer le bien du mal, de trier qui est « dedans » et qui est « dehors ». Ces rapports là on les traîne avec nous ; et pour nous il est indispensable de reconnaître ça et d’en faire l’analyse si on veut pas continuer à entretenir ces rapports de merde et faire monter les tensions. Les préjugés ça vient pas de nulle part, c’est pas un truc qui tombe du ciel. C’est parce que y’a un rapport de pouvoir inégal que y’a deux catégories qui sont faites ; c’est parce qu’une des catégories a le dessus sur l’autre qu’elle peut se permettre d’en faire une représentation caricaturale. Y’a pas de différenciation sans hiérarchisation : c’est toujours dans le même mouvement qu’on classe les gens et qu’on en définit comme « supérieur.e.s ». Alors on brasse dans des cultures « anti-autoritaires », on est contre la hiérarchie et la domination, mais on n’a quand même pas envie de tenir compte de certaines inégalités lorsque ça ne nous arrange pas ou que ça ne fait pas partie de « LA grande lutte » (Hey, ça veux dire quoi alors le fameux « et son monde » copier-coller à la fin de chaque tract ?). Faudrait peut être assumer ça et accepter de le regarder, et arrêter de défendre ses petits privilèges : c’est quand même fou que face à des gens qui critiquent un texte jugé trop intello-universitaire, y’ait des réponses comme « ça se comprend très bien, fais un effort », « c’est juste du bon français » ou « on va pas se mettre à parler comme Oui-Oui ». Hey, être intello et sortir d’un milieu universitaire dans ce monde c’est être dans une putain de position de privilège, c’est maîtriser le langage des dominant.e.s, c’est jouer les codes du pouvoir, c’est faire sentir aux autres qu’ils/elles ont qu’à fermer leur gueule (marrant, ça à l’air d’être moins « violent » qu’une insulte ou un cri). Parmi les gens qui sont catalogué.e.s comme des arraché.e.s, y’en a pas mal qui ont exprimé le fait de se sentir niquées sur des questions de répartition de la bouffe, du matériel, des coups de mains venus de l’extérieur, de l’accès aux thunes de la ZAD... (c’est par exemple des trucs qui ont été dits cet hiver à propos de la différence d’accès aux ressources entre la Châtaigne et HorsContrôle). Même si des groupes ont passé de l’énergie là dedans, on peut pas dire qu’il y ait eu beaucoup de discussions et de réflexions à l’échelle « globale ». Un autre exemple de différence de « traitement » se retrouve dans la mobilisation collective par rapport à la répression : quand un paysan est convoqué au comico, rassemblement immédiat sur place ; alors que quand des « arraché.e.s » passent en procès, quasi personne au rencard covoiturage (c’est pourtant souvent plus ceux-là qui risquent de la tôle). On entend aussi pas mal de gens qui disent ne pas se sentir entendus ou écoutées en réunion, d’avoir l’impression de pas être pris en compte dans les décisions collectives, etc ... Par exemple, au mois de mai, il y a eu de longues réunions à propos de la tranchée des Fosses Noires. Un « consensus » a été trouvé pour concilier les différents enjeux : l’accès aux parcelles agricoles et la protection de la zone. La décision était de construire d’abord le portail puis de reboucher la tranchée. C’est le contraire qui se passe et quand il s’agit de construire le portail, plus grand monde se sent concerné parce que le bouchage est terminé. On ne peut donc pas s’attendre à de jolies et gentilles réactions. Encore moins lorsque les ressentis des personnes qui se sentent menacées par le fait que la route redevienne circulante sont méprisées. Les « arraché.e.s » se sont fait arnaqué.e.s. Et puis peu de temps après rebelote ! Les gros cailloux. Gros cailloux posés par la préfecture au mois de juin pour condamner la D281. Il est décidé en plusieurs fois, à plusieurs moments, avec différentes composantes de LA lutte que la route sera réouverte mais que les cailloux resteront sur les côtés afin de faire des chicanes (des personnes été aussi contre le fait de
- la réouvrir). Mais ça ne se passe pas comme prévu : « on a les grosses machines, faisons joujou avec ! » et puis quand quelques personnes (un tout petit nombre) gueulent parce que tout est retiré, elles se font rembarrer et taxées de violentes. Alors on discute quand ? Et comment est-ce qu’on s’assure que ce qui est fait en action correspond à une la volonté collective ? Un autre problème, dans ces conneries de « nous » et « eux », c’est aussi que ça invisibilise plein de rapports de merde à l’intérieur des « groupes ». Y’a qu’à se contenter d’être soudé.e.s et uni.e.s face aux autres, celleux avec qui y’a de « vrais » problèmes, et surtout pas laisser de place à critiquer toutes les situations de violence qu’il peut y avoir au sein de celleux qui se sentent un groupe ensemble...

« Faire quelque chose »

Du coup, pour en revenir aux « embrouilles », il y a eu plusieurs discussions pour « faire quelque chose » comme, par exemple, poser des limites à certaines personnes. Le 21 juin, une quarantaine de personnes (appartenant plutôt à la catégorie des “petit.e.s bourgeois.e.s”) sont allées voir 3 personnes (appartenant plutôt à la catégorie des “arraché.e.s”) : pour mettre un terme à des comportements jugés inacceptables : »il va falloir changer ou partir ». On ne veut pas “attaquer” les personnes qui ont fait ça (en tout cas pas toutes), et on comprend bien que pour certaines il y avait des situations de craquage face à certains comportements répétés, et qu’il y avait le besoin de “faire quelque chose”. On veut juste soulever quelques questions que nous posent ce processus. On trouve plutôt positif d’être capable d’aller signifier des choses, même de manière hostile, quand une situation ne nous convient pas, mais ça dépend de pourquoi et comment c’est fait. Ça ne nous va pas quand c’est pour rétablir la situation qui va aux personnes dominantes, celles qui décident. Plusieurs personnes refusent de remettre en cause les rapports de domination, sous couvert de « on a autre chose de plus urgent à gérer en ce moment », que « la lutte n’attend pas », avec des arguments chocs tels que « ça suffit de discuter, il faut agir », « y’a des habitants qui résistent et des paysans qui veulent se casser ». Déjà, ça sous-entend que tout le monde mette la même chose derrière le mot “lutte”. Ce qui voudrait dire que détruire les privilèges, et les rapports de dominations entre nous, c’est pas important, ni une priorité, voire c’est « de la sociologie de bas étage ». On se rend compte une fois de plus que LA LUTTE, ça veut rien dire. Parmi les gens qui ont participé à cette action, certain.e.s ont régulièrement des propos carrément réacs et franchement fascisant, à propos de “ces gens-là” qui sont là uniquement pour “profiter” de la lutte, qui “ne servent à rien”, “n’ont rien à faire là”, ou qui ont besoin d’« être éduqué.e.s ». D’autres sont plus « subtiles » et assument moins leur mépris, mais n’en pensent pas moins (tout ça n’est pas très étonnant, dans une lutte qui a été présentée tout l’hiver comme « le petit village gaulois luttant contre l’envahisseur », référence bien chauvine et franchouillarde). La question que nous nous posons est la suivante : Avec qui on fait des alliances, et pourquoi ? Est ce que la nécessité de “faire quelque chose” justifie de le faire avec n’importe qui et n’importe comment ? Comment des camarades en sont-ils/elles arrivé.e.s à aller main dans la main “poser des limites” à d’autres avec des personnes qui produisent un discours ultra réactionnaire, et ne sont en rien des allié.e.s politiques ? Comment le silence de certain.e.s face à des discours fascisants légitime ces derniers ? Par rapport au fait de menacer des gens de les virer, nous voulons bien que se pose la question : qui se donne le droit de trier entre celleux qui ont leurs place et celleux qui ne l’ont pas ? Qui se sent la légitimité de venir chez des gens pour virer leurs cohabitant.e.s ? Qu’on soit énervé.e.s contre certain.e.s, qu’on n’en puisse plus, qu’on ait envie de leur péter la gueule, c’est entendable. Mais qu’on dise à certain.e.s « tu n’as rien à faire là », alors même que pleins d’autres ont fait tout autant de la merde sans même être critiqués, ça devient difficile à entendre. Quand, pour la discussion qui a abouti à cette action, un groupe de personne se fait inviter sur la base de « ce sera pas le moment de discuter des rapports de classe », faut-il comprendre que l’idéal serait de faire une lutte entre privilégié.e.s ? Que le but est de signifier à des gens qu’on veut bien les tolérer si illes s’intègrent comme il faut. On estime que remettre en question ses propres privilèges, c’est déjà « faire quelque chose », pour capter ce qui se joue dans la situation et tenter de ne pas continuer à reproduire les rapports de domination. Pour nous, il y a une mise à distance très claire d’un groupe stigmatisé quand autant de personnes se saisissent des questions d’agressions lorsque c’est « les arraché.e.s » qui sont en cause et que, par contre, quand c’est un des « petit.e.s bourgeois.e.s » qui est agresseur, silence radio (le mot d’ ”agression” n’est même pas utilisé). C’est vraiment 2 poids, 2 mesures. Quelques exemples : quand un habitant d’avant le mouvement d’occupation tabasse un squatteur et le met en danger de mort, pas de réaction collective. Quand une personne classée dans les “arraché.e.s” dit avoir subi des insultes racistes de la part d’un paysan, pas de réaction collective. De même il n’y pas eu une telle implication quand des violences sexistes ont été visibilisées. Bizarre, vous avez dit bizarre ?! Pourquoi certaines violences sont-elles jugées inacceptables, quand d’autres sont passées sous silence, invisibilisées, voire niées ?

A propos de la “violence”

Ça commence à devenir vraiment pénible d’entendre parler de « violence » toutes les deux phrases pour qualifier des menaces ou des coups, comme si c’était les seules violences existantes. Y’a tout le reste de la violence, celle qui est invisibilisée, celle dont on parle pas et qu’on veut pas reconnaître. Y’a les violences structurelles (c’est-à-dire qui sont pas liées à des conflits interpersonnels, mais à des positions de pouvoir différentes dans la société) qui sont reconnues largement dans cette lutte, comme celle de l’Etat, des flics et des patrons. Et y’a les violences structurelles dont personne ne veut entendre parler, comme le sexisme, le racisme, le mépris de classe, qui existent sur la ZAD. La violence, ça peut être de se faire regarder avec dédain, se sentir méprisé.e, dévalorisé.e, dénigré.e, humilié.e. Et c’est encore plus violent quand on se prend ça dans la gueule parce qu’on est pas dans la bonne catégorie (pas un mec, pas un-e blanch-e, pas un-e intello, pas un-e hétéro-e, etc.) La violence, ça peut être un paquet de trucs. Exclure, faire sentir que si on se plie pas à tel ou tel comportement on n’a pas de place, des agressions sexuelles, des attouchements, des manières d’être considérée comme une proie sur le marché sexuel. Ça peut être d’essayer de convaincre quelqu’un-e de faire quelque chose qu’il/elle a pas envie de le faire, imposer son point de vue, d’être majoritaire et de se sentir légitime. Ça peut être des moqueries, des vannes récurrentes, des petits trucs rabaissant dits sur le ton de l’humour, des menaces (quelles qu’elles soient), du chantage, de la pression, l’intimidation, des coups. Ça peut être aussi parler à la place des autres, juger des gens incapables de faire telle ou telle chose, contraindre par la force physique, immobiliser, maintenir, empêcher de passer, couper la parole, la monopoliser, ou ne pas prendre au sérieux les opinions de quelqu’un.e. Surtout la violence, ça a pas de définition « objective » : y’a pas de définition des comportements acceptables ou inacceptables, valables dans toutes les situations. La violence, c’est celles et ceux qui la subissent qui peuvent la définir. Y’a pas de violence qui soit mieux qu’une autre. Une baffe c’est pas pire qu’une violence psychologique. Et parfois, les violences « visibles » (crier, insulter, menacer, frapper) sont simplement des riposte à d’autres violences plus insidieuses. Le problème avec ces surenchères de « c’est violent », c’est de savoir qui est en position de définir ce qu’est LA violence, et où est la limite entre l’acceptable et l’inacceptable. Plutôt, ce qui se passe dans le monde, c’est que c’est celleux qui ont le pouvoir qui ont ce privilège là : les bourgeois, les patrons, les flics, les juges. C’est aussi les hommes, les blancs, les classes intellectuelles, les hétéros, etc. Alors bien sûr, on peut avoir notre propre morale, et c’est justement parce qu’on vit en confrontation avec le système qu’on peut choisir ensemble nos propres règles. Mais ça vaut le coup de se poser ces questions : pour qui on fait les règles ? Qui est dans la position de dire ce qui se fait ou ne se fait pas ? Est ce qu’on applique ces mêmes critères à nos proches, nos camarades du quotidien, nos ami.e.s ? Ou est-ce qu’on les réserve à celleux qu’on à envie de tenir loin de nous ?

En guise de conclusion...

Un truc qui s’est reproduit plusieurs fois dans l’histoire du mouvement d’occupation, c’est que les gens qui débarquent soient regardé/e.s de travers par les « ancien.ne.s » et doivent « faire leurs preuves » pour être reconnus. Ca fait vraiment un processus d’intégration : devoir montrer qu’on n’est pas des « parasites », mais qu’on a aussi une place dans LA lutte. Là, la valorisation se fait beaucoup par le travail : cultiver la terre, produire, construire des cabanes qui ont de la gueule. Y’en a marre. Nous ce qu’on veut, c’est pas juste vivre côte à côte en « bonne entente », sans se marcher sur les pieds. Ce qui nous intéresse c’est de construire un cadre de lutteS ou tou.te.s aient leur place, leur légitimité. A propos de la rédaction de ce texte, ça nous a pris pas mal d’heures de discussion, et ça a été bien prise de tête. Parce qu’on n’a pas les mêmes positions (on l’a déjà dit), mais aussi parce que c’est des sujets complexes qu’on n’a pas l’habitude de brasser, et que ça soulève plein de questions. On s’est rendu.e.s compte que certaines choses étaient floues dans nos têtes, qu’il fallait les affiner, et que c’était loin d’être fini. Bref, c’était hyper intéressant, et aussi bien le bordel ! En tout cas, on veut pas en rester là, de se contenter de pondre un texte (un peu trop long... on sait...), mais on a bien l’envie d’en discuter avec plein de gens...

[Une réponse à ce texte a aussi été publiée.]

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