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‌‌‌Salam (Paix), un peu hors sol par les temps qui courent...

lundi 16 avril 2018

De tout cœur et toute tête avec vous. Un peu de lecture entre habitats/cabanes, semis et reflexions sur les luttes paysannes (1), entre rassemblements et reconstructions.... Je suis très régulièrement l’actualité de Bure et de NDDL, lieux de mes engagements. Ci-dessous un texte et une modeste fable écrite en septembre 2016.

Au delà du cérémonial hystérisé de l’élection - surtout présidentielle - dans nos démocraties libérales/sécuritaires, je pense que la véritable action politique au sens noble passe par une réappropriation des territoires et du temps (après l’horloge des Églises, s’émanciper de l’horloge du Capital !), avec expérimentations de rapports non marchands à la nature et relations de pouvoir inclusives de l’ensemble des personnes. Du temps mais choisi/assumé, de l’imagination, de l’intelligence humaine plutôt que technologique, de l’effort... Beaucoup plus difficile que la "servitude volontaire de La Boétie" ! Sans oublier l’humour ! De plus en plus, des conflits se cristallisent sur l’aménagement de territoires (les fameux GPII). La philosophe Chantal Mouffe, pour qui "le conflit est constitutif de la politique" dit : "Quand les luttes politiques perdent de leur signification," - voir TINA (There Is No Alternative de la Dame de fer, Margaret Thatcher) - "ce n’est pas la paix sociale qui s’impose, mais des antagonismes violents, irréductibles, susceptibles de remettre en cause les fondements mêmes de nos sociétés démocratiques" (2). Il s’agit de "s’opposer sans se massacrer..." (Marcel Mauss dans Essai sur le don écrit en 1925). À méditer sur le fil du rasoir sans une goutte de sang ! Mais qui dit s’opposer dit choix entre alternatives politiques significativement - pour ne pas dire radicalement, mot utilisé à toutes les sauces religieuses ou laïques... - différentes. Et bien sûr alternatives critiquables et non inscrites dans le marbre pour éviter le massacre. (1) Silvia Pérez-Vitoria (économiste, sociologue et documentariste), "Les paysans sont de retour" et dernièrement "Manifeste pour un XXIe siècle paysan". (2) Voir la montée des mouvements de droite extrême anti-élites et l’appel à un leader qui "en a ..." en Europe et un peu partout dans le monde (pas de ségrégation sexuelle, il y a des femmes qui "en ont ..."). Et cela rejoint le manque d’utopie, d’espérance et d’élan spirituel, si ce n’est de transcendance, de nos démocraties marchandes dé-sécularisées, discréditées et engluées dans le paradigme néolibéral, analysé dans le miroir de l’État Islamique par Scott Atran, anthropologue franco-américain travaillant sur le terrain irako-syrien et sur le modèle de croyance systémique et totalitaire de l’extrémisme djihadiste.

Une fable dont la fin n’est pas à l’ordre de l’actualité !

Le campagnol amphibie n’a pas eu son mot à dire. Un arrêté préfectoral a décidé de son sort : nettoyage "ethnique" et condamnation à mort pour entrave à la circulation d’avions et pour limitation perverse des profits de Monsieur Vinci, par ailleurs concessionnaire du plus important réseau autoroutier d’Europe et donc au service de l’intérêt général... des consommateurs de carburants. Mais dans les landes de Notre-Dame, la révolte gronde, la symphonie de centaines de bâtons fait trembler le sol et clapoter les étangs. À cet appel, des milliers de rongeurs se regroupent derrière Arvicola sapidus, le Spartacus des campagnols amphibie, brandissant "Le contrat naturel", ce livre déjà ancien (1990) de ce vieux Michel Serres. Parlant du droit de la faune, de la flore et des choses naturelles, une phrase peut le résumer : qui parlera dans les parlements, dans les instances de décision, au nom de tel ou tel poisson (1), au nom de telle ou telle graminée (2), au nom de tel ou tel fleuve (3) ? Et ils partent à l’assaut des conseils municipaux, des conseils départementaux, des conseils régionaux, de l’assemblée nationale où siègent les élus de la démocratie représentative des intérêts bien compris de Vinci et de la servitude volontaire de La Boétie, réclamant de leurs corps et à cris une consultation référendaire ! Bientôt tous les animaux solidaires de la Zone à défendre les minorités silencieuses en voie de disparition affluent à vol, à deux ou quatre pattes et même en rampant et nageant, n’est-ce pas l’Oedicnème criard, la Pipistrelle de Nathusius, le Traquet motteux, la Cordulie à corps fin, la Coronelle lisse, la Lamproie de Planer... Acculés, soyons polis, les présidents et conseillers, les députés et sénateurs, tous ces partisans de la démocratie participative à des décisions d’aménagements souvent prises en amont, en avalent leurs arguments économiques, la marche irréversible du Progrès, le nécessaire capitalisme mondialisé vecteur de Croissance, l’Innovation technologique évidemment un Bien pour l’humanité, l’emploi... Vont-ils accepter la demande des masses laborieuses des zones humides ? Sont-ils capables du pas de côté sans bagnole pour observer la nage du campagnol amphibie et de la prise de hauteur sans avion pour admirer le vol du pigeon colombin ? Fini le pied au plancher ? Terminé le tirage de manche ? D’un discret mouvement de cil, Arvicola sapidus obtient le silence et expose la seule question référendaire et révolutionnaire qui vaille : "Notre-Gaïa-des-Landes (4), la profane sensible au vivant et non vivant" ou "Vinci-et-Cie, le titan prométhéen de la démesure technocratique anthropocentrée". Devant la puissance radicale de l’alternative, les élus ont les ailes coupées et en perdent leur zèle arrogant ! Découvrant l’humilité sous la symphonie faunique, ils s’inclinent. Les hérauts de ce projet surréaliste d’aéroport, Messieurs Ayrault et Retailleau, font alors une proposition de loi avant de tomber dans les pommes qui n’en demandaient pas tant : "Api nous, api nous, on nous fera pas taire, même à terre !" Dans un souffle, ils ont déclaré : "Le peuple du vivant et des représentants du non-vivant a le droit à la parole". Les sels de pâmoison de Guérande les ayant remis sur pied, les deux piteux députés, chambrés mais en odeur d’animalité, sortent de la Chambre, la loi votée à l’unanimité des nez pincés, ça aide pour donner sa voix ! Le référendum fut un grand moment de démocratie populaire, animale et minérale. Gaïa gagna, Vinci vaincu ! Et c’est ainsi qu’aujourd’hui, les gendarmes mobiles et leur famille marchent main dans la main avec les paysans, les naturalistes, les promeneurs et les "méchants" zadistes dans les landes de Notre-Dame-des-Landes. Parfois, ils aperçoivent un campagnol amphibie, peut-être Arvicola sapidis...

(1) Le requin, ce saigneur seigneur de la mer, que d’autres "requins" massacrent. En 15 ans, la population de requins a diminué de 80 %... (2) Sauvé !, Bayer s’offre Monsanto pour 59 milliards d’€. Pour l’estomac des futurs 10 milliards d’habitants à nourrir, espèce de mal-pensant ! (3) "Le Colorado, le fleuve qui n’atteint plus la mer", un exemple de l’entrée encore officieuse - mais mal nommée - dans l’Anthropocène ("l’âge de l’homme"), une époque où il devient avéré scientifiquement que la géologie et l’atmosphère de la planète Terre sont modifiées par les activités d’une espèce vivante unique, l’homme. Il serait plus juste de dire Occidentalocène ou Industrialocène ou Capitalocène, ou encore Mégalocène comme le préconisent certains, tant la responsabilité des humains n’est pas partagée de manière égale et est même inexistante pour certaines civilisation et histoire de mettre un peu de grain moudre politique dans le consensus du développement durable, de la croissance "bas-carbone", de l’économie circulaire, du capitalisme vert... (4) Fait référence à l’essai de Bruno Latour "Face à Gaïa".